Créée en 1998, l’ONG lyonnaise Entrepreneurs du monde accompagne des personnes en situation de grande précarité en Afrique, en Asie, en Haïti et en France. Nombre de ces projets concernent le soutien et le développement de projets agricoles, ainsi que la lutte contre la sous-alimentation.
Sortir de la pauvreté, grâce à l’entrepreneuriat, tel est le pari fait par l’organisation non-gouvernementale (ONG) Entrepreneurs du monde. Créée en 1998 à Lyon, la structure accompagne des personnes en situation de grande précarité en Afrique, en Asie, en Inde, en Haïti et en France. Depuis, l’ONG s’est constitué un important réseau de bailleurs de fonds. L’objectif ? Créer des institutions de microfinance capables d’accorder des micro-crédits individuels sans garantie à des populations pauvres et vulnérables et d’incuber des organisations locales jusqu’à leur autonomie1. Les bénéficiaires de ses actions sont des personnes en situation de grande précarité, qui vivent en dessous d’un seuil de pauvreté. « Mais ce seuil varie selon chaque pays », tient à nuancer Alice Carton, chargée de projets de développement rural pour l’organisation. Sa vision de la pauvreté s’avère bien plus rationnelle : « Être pauvre, c’est ne pas pouvoir penser demain sereinement ».
Victimes du changement climatique
Au fil des années, l’agriculture a pris une place centrale dans les projets de l’ONG. Sur 180 000 familles bénéficiaires de mini-prêts dans le monde, 74 000 sont liées à l’agriculture. Leurs problématiques et besoins sont d’ailleurs multiples. Les producteurs togolais et sénégalais cherchent, par exemple, à optimiser leurs cultures et à fabriquer des intrants. L’achat de semences, dont la commercialisation est quasi inexistante dans ces pays, est également un enjeu de taille. La faible surface de leurs récoltes, cumulée aux effets du changement climatique, à la désertification galopante et au manque d’infrastructures de conservation, sont autant de facteurs qui augmentent drastiquement les problèmes de sous-alimentation et de malnutrition. « Il faut imaginer des cultures d’environ 0,25 ha, sans mécanisation et dont la main-d’oeuvre est familiale ou temporaire seulement au moment des récoltes, explique Alice Carton. Les porcheries des éleveurs sont en bois avec un toit en chaume et aucun moyen de stockage des productions n’existe (lire encadré) : c’est un système agraire et précaire, où la propriété des terres est communautaire. » Les femmes jouent d’ailleurs un rôle central, à tel point qu’elles représentent 89 % des bénéficiaires. Ce sont elles qui récupèrent l’eau à l’aide de seaux dans les puits, faute de système d’irrigation efficient. Ce sont elles, encore, qui fabriquent la farine. Finalement, l’économie agricole de ces pays repose sur le seul travail manuel. « Lorsque nous voyons cela sur le terrain, notre monde moderne percute un monde agricole qui n’a pas évolué… Où l’agriculture est une agriculture de survie », confie Éric Eustache, responsable du pôle agro-entrepreneuriat. Outre le manque de moyens techniques, ces pays souffrent aussi des nombreuses consquences du changement climatique. Au Sénégal, la montée de la mer submerge certains fleuves, ce qui impacte fortement la culture de riz et la survie des producteurs qui ne possèdent aucun système assurantiel. En Afrique de l’Ouest, la réduction de la saison des pluies de 5 à 3 mois crée des risques de pénuries alimentaires durant les derniers mois de l’année.
Transmettre et partager les connaissances agricoles
Loin de vouloir insuffler une quelconque bonne parole, Entrepreneurs du monde applique une méthode originale. Sur place, les responsables recrutent des chargés de projet compétents et sensibles aux enjeux agricoles du pays. « À partir du moment où nous décidons de développer un projet, nous recrutons localement le noyau de l’équipe et nous les faisons monter en capacité, en compétences et en savoir-faire », détaille Éric Eustache. L’objectif est ensuite de favoriser les savoir-faire locaux et la transmission. « Les agriculteurs et agricultrices n’ont pas l’habitude d’effectuer des visites de terrain chez les uns ou chez les autres, puisque les parcelles sont très disséminées, relate Alice Carton. Une fois par mois, nous rassemblons donc les bénéficiaires afin qu’ils discutent de leurs méthodes et de leurs problématiques. Je me souviens notamment d’une visite de parcelle au Togo, où les échanges tournaient autour de la présence des termites : la parcelle n’en contenait aucune. La propriétaire de la parcelle a expliqué au groupe qu’elle utilisait des intestins de souris qui éloignaient les termites, sans pour autant les tuer. » Des exemples comme celui-ci, Alice Carton en a des dizaines à raconter.
Si bien qu’à moyen terme, l’ONG prépare la création d’une ferme-école afin que les producteurs et productrices s’initient à l’agroécologie, l’agroforesterie, l’élevage des petits ruminants et à l’installation d’étangs pour l’élevage des poissons.
Léa Rochon
1. Outre l’accès à des micro-crédits agricoles, Entrepreneurs du monde permet aux populations vulnérables d’accéder à de la formation, à des micro-assurances santé ou encore d’obtenir des papiers administratifs afin de passer des diplômes ou le baccalauréat pour les enfants.
Les Entrepreneurs du monde en quelques chiffres
12 pays
Dont Haïti, la Guinée, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Burkina Faso, le Sénégal, le Myanmar (ex Birmanie), le Cambodge, le Vietnam, les Philippines et la France.
180 909 bénéficiaires
Dont 89 % sont des femmes.
269 €
Le montant moyen de chaque prêt accordé.
774 personnes sur le terrain
Dont 749 salariés, qui habitent et travaillent directement au contact des bénéficiaires ; 15 salariés qui sont expatriés afin d’accompagner les équipes locales et 29 salariés situés au siège, à Lyon.
SÉNÉGAL / Des greniers innovants afin de stocker la production d’oignons
Dans le nord du Sénégal, l’oignon représente une importante culture de rente. Mais jusqu’en 2019, les producteurs ne possédaient aucune solution de stockage. Chaque année, près de 400 000 t d’oignons se retrouvaient simultanément sur les étalages et inondaient le marché. Tout ce qui n’était pas vendu était alors jeté au bout d’un mois, soit l’équivalent de 150 000 t. Afin d’aider les agriculteurs et agricultrices, les équipes d’Entrepreneurs du monde ont donc réfléchi à un mode de stockage peu énergivore, le prix de l’électricité étant bien plus cher en Afrique. La solution retenue a été celle proposée par le laboratoire grenoblois CRAterre, spécialisé dans la construction en terre crue. « Main dans la main, nous avons conçu des greniers avec une double enveloppe, explique Éric Eustache, responsable du pole agro-entrepreneuriat. Des puits canadiens, que nous appelons provençales en France, ainsi que des murs à vent, ont été adjoints à la structure. » Cette construction est inspirée d’une technique iranienne ancestrale. « Autrefois, les humains construisaient des tours à vent dans le désert, détaille le chargé de projet. L’ouverture et les croisillons en bois placés en haut de la tour jouaient sur le mouvement de l’air et faisaient diminuer la température des maisons. » Depuis l’avènement de ce projet, trois greniers ont été installés. Les producteurs peuvent dorénavant stocker leurs oignons durant 5 mois, réduire leurs pertes à 10 % et vendre leurs légumes sur une plus longue période.