RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Un été particulièrement chaud pour les filières agricoles

Des records de température pourraient encore être battus dans les prochains mois. En cause, différents facteurs naturels et humains qui influencent les variations thermiques. Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS, l’affirme : « s’il est devenu presque impossible d’inverser la tendance, la stabiliser est encore envisageable ». Toutefois, aujourd’hui, les filières agricoles souffrent de ces températures élevées, mais des pistes existent d’ores et déjà pour s’adapter et être acteur face à cet enjeu climatique.

Un été particulièrement chaud pour les filières agricoles
Selon Météo France, l’été 2023 a été le quatrième plus chaud en France depuis 1900 avec des températures moyennes de 21,8°C, soit 1,4°C de plus que la moyenne trentenaire (1991-2020). ©Yves_Bernardi_de_Pixabay
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Pour Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS, des records de température pourraient encore être battus dans les prochains mois. ©Cathy Clerbaux

Jamais, l’Hexagone n’avait vécu une fin d’été aussi chaude. « À l’échelle nationale, la France a connu du 17 au 24 août, sa 47e vague de chaleur depuis 1947. Avec une durée de huit jours, il s’agit de chaleur tardive la plus longue à l’échelle du pays et la plus intense », soulignait Météo France le 25 août. Autre constat : sur les 261 postes du réseau dans les 19 départements concernés par la vigilance rouge canicule de cette deuxième quinzaine du mois d’août, 23 % ont battu un record de température minimale (neuf postes dans l’Ardèche et sept en Lot-et-Garonne) et 49 % ont battu un record absolu de température maximale. En effet, le 23 août, la station d’Aubenas (Ardèche) relevait une température minimale de 24,4 °C, battant l’ancien record absolu du 12 juillet 1982 qui s’établissait à 24 °C. Du côté des maximales, le record absolu a été dépassé d’1,2 °C à Nyons dans le Drôme passant de 41,8 °C le 12 août 2003 à 42,7 °C vingt ans plus tard (le 23 août). De quoi donner des sueurs froides, d’autant plus que les prévisions laissent entrevoir que ces tristes records sont appelés à être encore dépassés. Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS (LATMOS/IPSL), professeure invitée Université libre de Bruxelles, Sorbonne Université, lançait l’alerte à la mi-août sur le site The Conversation, en expliquant « pourquoi les températures pourraient battre des records au cours des prochains mois ». Un conditionnel employé de manière volontaire par la scientifique car les « variabilités naturelles sont nombreuses et complexes », précise-t-elle.

Différents facteurs

En effet, Cathy Clerbaux l’énonce dès l’introduction de son article, « pour comprendre l’évolution des températures, il faut tenir compte du fait que notre climat est complexe : il dépend des interactions entre les activités humaines, l’atmosphère, la surface terrestre et la végétation, la neige et la glace et les océans. Le système climatique évolue sous l’influence de sa propre dynamique interne, mais dépend également de facteurs externes ».

En clair, l’activité solaire, les éruptions volcaniques, les gaz à effet de serre (GES) ou encore les aérosols d’origine anthropique et naturelle, soit les petites particules en suspension, sont à prendre en compte pour entendre en partie les évolutions thermiques « sous fond de réchauffement climatique ».

À cela, s’ajoute El Niño qui exerce une forte influence sur les températures. « Il existe un véritable dilemme autour de ce phénomène climatique. Nous ne savons pas encore s’il va s’installer ou non. Pour le moment, il se stabilise », note Cathy Clerbaux interrogée le 18 septembre. Cette dernière précise sur The Conversation qu’El Niño et sa composante froide, La Niña, sont les principaux facteurs de variation d’une année sur l’autre. Ils se caractérisent par des fluctuations de température entre l’océan et l’atmosphère dans l’océan Pacifique équatorial et peuvent durer plusieurs mois. Alors aujourd’hui, l’activité solaire qui approche de son maximum, l’éruption du volcan sous-marin Hunga Tonga qui a envoyé 150 millions de tonnes de vapeur d’eau directement de la stratosphère, « un phénomène inédit encore jamais observé », l’accumulation continue des gaz à effet de serre, la diminution des aérosols et le phénomène El Niño laissent présager de nouveaux potentiels records de chaleur dans les douze à dix-huit prochains mois.

Stabiliser la tendance

Si pour la scientifique, il est impossible de donner un chiffre précis concernant la potentielle hausse des températures, elle alerte sur la possibilité que la limite la plus ambitieuse de l’accord de Paris, une augmentation de 1,5 °C en moyenne globale, « nous savons qu’à certains endroits, ce sera plus », pourrait être dépassée avant 2030. « Les projections à horizon 2050 affirment que les températures à Lyon seraient équivalentes aux actuelles Madrilènes. En 2100, à celles d’Alger, sans la mer », note Cathy Clerbaux. Sans politique climatique, Météo France projette qu’à horizon 2071–2100, le réchauffement climatique pourrait atteindre 4 °C par rapport à la période 1976-2005. Alors, si aujourd’hui il semble difficile d’inverser la tendance, il est encore possible de la stabiliser. Le gouvernement s’est mis en ordre de marche en début d’année pour « sortir du déni » et se préparer à ce scénario catastrophe. « En Europe, nous avons été précurseurs avec la mise en place de compensations des émissions à GES. Ce défi est très challenging », conclut la directrice de recherche au CNRS, mais semble atteignable.

Marie-Cécile Seigle-Buyat

Des températures extrêmes aux multiples conséquences
À partir de 25 °C la journée, un ruminant souffre de la chaleur. Il lui faut également des nuits en dessous de 20 °C. ©Cniel_F_Joly
ÉLEVAGE

Des températures extrêmes aux multiples conséquences

Fin août, la vague caniculaire qui a touché une grande partie du territoire a impacté le comportement et la production laitière du cheptel d’Emmanuelle Laval et Armand Pitiot, un couple d’éleveurs situé à Vaugneray (Rhône).

Leurs vaches n’avaient jamais eu aussi chaud à cette période. Installés en Gaec depuis 2019 à Vaugneray, au coeur des monts du Lyonnais, Emmanuelle Laval et Armand Pitiot élèvent quarante vaches. Perché à 600 m d’altitude, leur cheptel composé de prim’holsteins et de montbéliardes a réellement souffert des chaleurs extrêmes (jusqu’à 40 °C) qui ont sévi à la fin du mois d’août. « Notre stabulation est en éternit, un matériau qui n’est pas du tout isolant, puisque la chaleur communique dessous », explique l’éleveuse, qui retrouvait ses vaches essoufflées et la langue pendante dès 6 heures du matin. Malgré l’altitude, le faible écart de température entre la journée et la nuit ne permettait pas aux vaches de s’autoréguler. Un phénomène loin d’être étonnant, selon Yves Alligier, responsable à Loire conseil élevage : « À partir de 25 °C la journée, un ruminant souffre de la chaleur. Il lui faut également des nuits en dessous de 20 °C ». Malgré la présence de ventilateurs en salle de traite et d’une ouverture du bâtiment sur trois faces, les vaches des deux éleveurs ont perdu quatre litres de lait chacune par jour. « Avec la chaleur, elles mangeaient un quart moins que d’habitude, ce qui nous a incités à mettre en place un système de brumisation derrière les cornadis », continue Emmanuelle Laval.

Une gestation plus complexe pour les bovins

Outre la perte de production, les chaleurs extrêmes ont également affecté la gestation d’une de leurs vaches. « Durant cette période, l’une d’entre elles a avorté, alors qu’elle était à six mois de gestation. Les inséminateurs ont confirmé que le problème venait de la chaleur… Nous nous sommes sentis impuissants. » Chez les bovins, l’augmentation de la température corporelle favorise la mortalité embryonnaire. La diminution de l’alimentation peut également provoquer une perte de production d’ovules de bonne qualité. Autre conséquence de ces chaleurs extrêmes : un fourrage moins riche en amidon. « Entre la dégradation des prairies et les rendements fourragers à la baisse, les éleveurs doivent ressemer plus régulièrement », conseille Yves Alligier. Le professionnel prend notamment l’exemple d’un éleveur caprin ligérien qui sursème chaque année du ray-grass, une espèce à implantation rapide, afin de préserver une valeur alimentaire.

Des chèvres alpines plus résistantes

Afin de diversifier leur exploitation, Emmanuelle Laval et Armand Pitiot ont fait le choix d’élever des chèvres alpines, en complément de leur cheptel bovin. Logées dans un bâtiment isolé au plafond, avec un gros volume d’air, leurs chèvres n’ont que très peu souffert de la hausse subite des températures survenue fin août. « Durant cette période, nous n’avons pas constaté de baisse en lait, elles consommaient simplement moins de foin la journée et plus la nuit », déclare l’éleveuse. En réalité, les conséquences sur le volume de production se sont déclarées quelques jours après, lorsque les températures ont chuté. Si les chèvres sont plus résistantes à la chaleur, les changements soudains de température provoquent aisément des baisses de production. « Les chèvres mangent trois kilos de matières sèches par jour, quand une vache ingère huit fois plus de quantités, rappelle Séverine Fontagneres, de Rhône conseil élevage. Les chèvres et les brebis sont plus adaptées au climat chaud, puisque leurs besoins sont moins importants que ceux des vaches. » À l’avenir, le couple d’éleveurs souhaiterait doter le bâtiment des vaches d’une ventilation dynamique. Ce système fonctionne avec des pales silencieuses et un variateur de vitesse. « La vitesse est calée sur l’hygrométrie du bâtiment, ce qui fait qu’il varie tout seul », détaille l’éleveuse. Le seul frein lié à cet achat ? Son coût : près de 100 000 €.

Léa Rochon

Une nécessaire adaptation en arbo et viticulture
Éric Chantelot, président de l’institut de recherche et d’expérimentation rhodanien. ©IFV
VÉGÉTAL

Une nécessaire adaptation en arbo et viticulture

Vendanges de plus en plus longues, augmentation de la teneur en alcool du vin, coloration et conservation des pommes rendues plus difficiles… Dans les secteurs est et sud-est de la France, la hausse des températures impacte inévitablement les productions viticoles et arboricoles.

Depuis une vingtaine d’années, l’oïdium a pris ses quartiers dans les vignes de la Saône-et-Loire. Bien qu’historiquement ses attaques ciblaient les chardonnays, les pinots noirs ne sont dorénavant pas en reste. « Le paramètre pondérant, c’est bel et bien la température, assure Pierre Petitot, conseiller à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Sur quarante ans, les schémas nous montrent une augmentation de 1,5 °C en avril et de 3,5 °C en juin. Or, ce champignon aime l’humidité et une température de 25 °C. Lorsque nous calculons le nombre de jours qui atteignent ces températures, c’est factuel : ils ont été multipliés par sept depuis les années 1980. » Afin de lutter contre ce nouveau fléau, les vignes bourguignonnes et champenoises pratiquent l’effeuillage. Selon le conseiller viticole, ce procédé est incontournable, surtout lorsque la qualité de pulvérisation n’est pas au rendez-vous.

En vallée du Rhône

Plus au sud, dans la vallée du Rhône, les conséquences de la hausse des températures sur la vigne sont toutes autres. Cela fait déjà une dizaine d’années que ce secteur viticole connaît une augmentation des degrés d’alcool présents dans les vins. Phénomène nouveau, néanmoins, les dates des vendanges semblent de plus en plus s’allonger. « Depuis deux ou trois ans, la période de vendanges est désormais beaucoup plus longue : nous sommes le 15 septembre et au sud de Valence (Drôme), la récolte des rouges commence tout juste », déclare Éric Chantelot, le président de l’institut technique rhodanien situé à Orange (Vaucluse). Certains viticulteurs ont pourtant fait le choix de vendanger leurs premières cuvées dès le 20 août. La raison ? Une teneur en alcool de 13 °C déjà atteinte sur des parcelles. Mais dans certains cas, la maturité polyphénolique, qui donne les arômes du vin, n’est pas encore suffisamment développée. Contrairement à la canicule connue fin août, les périodes où les écarts de température entre le jour et la nuit sont plus élevées deviennent alors plus favorables à la maturation phénolique. « Plutôt que de récolter tôt sous prétexte que le degré en alcool est fort, mieux vaut vendanger plus tard, afin d’atteindre cette maturité, quitte à mettre en place des technologies oenologiques pour réduire le taux de concentration en alcool », estime le responsable. Ce dernier recommande toutefois de prendre en compte l’état du terrain. « Certains domaines ont démarré le 25 août, car le sol était trop sec. Cela ne servait donc à rien d’attendre, tandis que d’autres vignes aux feuillages verts continuaient à pousser et pouvaient donc attendre le 20 septembre… Dire qu’il faut attendre à tout prix mi-septembre serait une hérésie, car une parcelle sans eau et à moitié défoliée nécessite d’être rentrée, quitte à la retravailler après la récolte », précise-t-il.

La conservation des pommes

Les vignes ne sont pas les seuls végétaux à être impactés par cette hausse des températures l’été. À cette période, la variété gala, qui constitue la principale production française de pommes, profite des écarts de température entre le jour et la nuit pour effectuer sa coloration. « Mais pour cela, la température doit descendre en dessous de 20 °C », explique David Ray, directeur de l’entreprise spécialisée dans la sélection et l’édition de variétés de pommes, Novadi. Plus la différence de température est forte, plus la coloration est obtenue rapidement. Autre problématique rencontrée par les arboriculteurs : la conservation des produits après deux semaines d’intenses chaleurs. « Le risque, c’est que les pommes perdent du jus, qu’elles brunissent de l’intérieur ou bien qu’elles perdent en fermeté », atteste le directeur. L’année dernière, la conservation des pommes gala était déjà devenue une source d’inquiétude. Résultat ? La production a dû être vendue dès les mois de novembre et décembre.

Léa Rochon

COLZA / Un climat chaud et sec en août, ennemi des semis
Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’agriculteurs ont pris conscience de l’intérêt de semer plus tôt leur colza. ©Terres_Inovia

COLZA / Un climat chaud et sec en août, ennemi des semis

Le mois d’août est certainement le plus important pour la culture de colza. Semer à cette période permet aux agriculteurs d’esquiver le risque lié aux altises adultes. Ces petits coléoptères noirs ou bicolores de 2 à 2,5 cm sont présents en nombre à la fin de l’été et peuvent attaquer les jeunes colzas en cours de levée en grignotant les cotylédons et les jeunes feuilles. « Plus les agriculteurs sèment tôt, à partir du 10 août, plus la levée et la croissance de la plante seront rapides », explique Alexis Verniau, ingénieur régional de développement à Terres Inovia. L’objectif est de semer avant le 1er septembre, afin d’atteindre le stade de 4 feuilles avant le 20 septembre, puisqu’aucune solution chimique n’existe pour protéger la culture de l’impact de cet insecte. Si 15 % à 20 % des agriculteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes étaient prêts à semer dès le 10 août, certains ont attendu la fin du mois. Une période durant laquelle l’est et le sud-est de la France ont connu une hausse des températures et une canicule inédite.

Réactivité et anticipation

« En colza, la pluviométrie constitue la clé du déclenchement des semis, continue l’ingénieur. L’année dernière, le territoire a connu de la pluie au 15 août, ce qui a garanti de bonnes conditions pour une levée rapide. » Cette année, beaucoup ont dû privilégier les derniers jours d’août, une fois les orages éclatés et l’humidification du sol réalisée. « L’idéal est d’avoir 3 ml d’eau tous les deux jours, mais dans certains territoires, comme le secteur de Romans-sur-Isère, dans le nord de la Drôme, il est tombé entre 80 et 100 ml en deux fois », relate Alexis Verniau, avant de rappeler que la germination de la plante se fait lorsque le sol est humidifié sur les dix premiers centimètres.

L’ingénieur remarque que, depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’agriculteurs « ont pris conscience de l’intérêt de semer plus tôt leur colza ». Selon Terres Inovia, la précocité du semis est à adapter au milieu. Elle se justifie notamment sur des sols argileux et argilo-calcaires, sur les plateaux en altitude, en semis direct ou sur du colza associé à des légumineuses. Une fois entré dans la période favorable, le déclenchement du semis doit impérativement se faire avant un épisode de pluie, idéalement de 7 à 10 mm. La réactivité et l’anticipation sont donc essentielles.

Léa Rochon