APICULTURE
Le miel et la fraude

Chaque année, les Français consomment environ 45 000 tonnes de miel. La production nationale de miel oscille entre 15 et 30 000 tonnes1 et ne permet pas de couvrir la demande. Comme tous les produits à forte valeur ajoutée, l’appât du gain, donc la tentation de fraude est grande, sur ce « sucre de luxe ».

Le miel et la fraude
Abeilles de retour du butinage. ©ADA_AURA

Entre importation de pays tiers, pas toujours limpide concernant l’origine du miel et la tentation d’adultération concernant la composition, la fraude va bon train.

D’après le dernier rapport de la Commission européenne publié le 23 mars 2023, près de la moitié des miels importés de pays tiers en Europe (46 % des échantillons sur 320 lots de miels) seraient non conformes, c’est-à-dire qu’ils présenteraient des problèmes d’origines, d’appellation ou encore d’adultération, (coupés avec des sirops de sucre) 2. Il existe deux types de fraude : sur la composition, et sur l’origine du miel.

Dans l’hexagone, le dernier rapport portant sur les chiffres 2021 de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pose le même constat : En 2021, 40 % des établissements contrôlés présentaient des anomalies selon les réglementations administratives.

En décembre 2023, la Commission européenne a adopté un texte de loi pour lutter contre la fraude avec un meilleur système d’étiquetage et de traçabilité du pays d’origine du miel, afin de mieux informer les consommateurs. « En France, la loi Egalim 2 oblige déjà à écrire le nom des pays sur les pots, dans l’ordre croissant de poids », rappelle Claudine Guinet, responsable du laboratoire privé Naturalim, à Port-Lesney (39).

Fraude sur l’origine et la composition du miel

Lorsque l’on mène des contrôles, nous sommes attentifs à la présence d’anomalies comme la non-conformité d’étiquetage. Par exemple, l’usage d’allégation nutritionnelle ou de santé telles que source de, riche en… Qui vont faire croire au consommateur que le miel possède des fins thérapeutiques, ou des mentions valorisantes, tel que miel de safran, par exemple », indique Charlotte Piron-Cabaret, inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en Ardèche. « On regarde aussi la composition. Le type variétal doit être le même que celui du pot », ajoute-t-elle. Les contrôles ne sont pas choisis aléatoirement. « On cible certains apiculteurs, mais aussi des grossistes et magasins. »

En France, la fraude concerne davantage l’étiquetage, que la composition des produits. « Il y a eu quelques cas de falsification contrôlés en labo, mais c’est vraiment ciblé sur les miels d’origines étrangères », précise Adèle Bizieux, directrice de l’ADA AURA, l’association des apiculteurs. La DGCCRF effectue également des contrôles concernant la composition de miel importés mais aussi français.

Avec 25 % de leurs analyses réalisées sur le miel, Claudine Guinet l’assure : « Nous contrôlons tous nos miels, depuis la réception jusqu’à la mise en pot. Les miels proviennent de notre coopérative et d’autres producteurs. Nos critères d’analyses se portent sur les normes du miel en vigueur, c’est-à-dire une vérification des qualités via la teneur en HMF (5-hydroxyméthylfurfural), un indice de fraîcheur, mais aussi une conformité à l’humidité, à l’appellation et à l’origine. » Pour la responsable du laboratoire, il faut prendre conscience de l’importance des contrôles réalisés. « La fraude existe sur de nombreux produits, et bien que tout ne puisse pas être contrôlé, comme pour la vente directe sur les marchés, la grande distribution effectue des contrôles en retour et nous impose des analyses également, c’est très rigoureux. »

De son côté, Patrick Molle, apiculteur et responsable des ventes de la coopérative Provence miel à La Roque-d’Anthéron (13), assure : « Quasi systématiquement, chaque lot qui part vers la grande distribution est analysé. On fait des analyses polliniques pour regarder d’où provient le miel. Cela donne des informations sur l’origine géographique et permet de vérifier l’appellation. » Le PH est aussi analysé. les miels foncés, ont une forte conductibilité électrique, par exemple, cela peut donner lieu à des déclassements comme un miel de lavande foncé, sera déclassé en miel de fleurs de provence. Pour L’adultération, il y a également des analyses qui mesurent le taux de sucre dans les miels comme le taux de glucose, fructose et saccharose. Le pourcentage est propre à chaque miel », précise le responsable des ventes.

Mais si la coopérative affirme procéder à ses propres analyses, le miel reste l’un des produits alimentaires les plus fraudés, avec l’huile d’olive. Le risque principal pour le consommateur est d’être trompé. Pour l’apiculteur, le risque de produits fraudés mis sur le marché, peut entraîner des conséquences plus dramatiques et mettre en péril son activité.

« Les faux miels issus des usines de Chine entre autres, déstabilisent le marché mondial, en faisant baisser les prix et en créant une situation de perpétuelle surproduction. Dans le marché mondialisé dans lequel nous sommes, nous sommes touchés, c’est pourquoi nous n’arrivons plus à vendre », ajoute Patrick Molle.

Face à l’ampleur de la fraude, de nombreux apiculteurs se sentent démunis. Élodie Leullier, qui a fondé avec son compagnon Nicolas Leullier, les Ruchers de l’Ibie en 2017, à Lagorce, fait part de son exaspération : « En tant que producteurs, on est soumis à une traçabilité sur le registre d’élevage qui recense toutes les ruches quand on part en transhumance. » Des normes et des contrôles réguliers alors que la fraude a lieu sous ses yeux, selon l’apicultrice :
« Depuis qu’on est installés, on se rend compte que c’est de pire en pire concernant la fraude et une façon de frauder qui surfent sur la localité », témoigne-t-elle. « Par exemple, on s’est rendu compte que l’étiquette d’un nom d’entreprise qui n’existe pas physiquement, était localisée en Ardèche. Mais c’est une entreprise fantôme. Nous avons alerté les fraudes à ce sujet et le dossier est passé dans le département voisin vu que l’entreprise n’est pas en Ardèche », assène la jeune apicultrice.

Face au risque économique, quelles solutions ?

Élodie et Nicolas Leullier ont fait le choix de réduire leur production au profit d’un développement touristique de leur activité, afin de sensibiliser les consommateurs. « Les gens ne se rendent pas compte de tout le travail fourni derrière un pot de miel », précise l’Ardéchoise.

Les apiculteurs de Les Ruchers de l’Ibie tentent de passer au maximum par la vente directe afin d’avoir un meilleur contrôle sur leur marchandise. Une autre stratégie pour les apiculteurs face à la fraude, est celle d’intégrer des marques reconnues localement et qui ont un cahier des charges rigoureux et de le notifier sur les étiquettes.

« On prône le local et le circuit court, nous faisons partie de la marque Goutez l’Ardèche, qui opère des analyses régulières. La chambre d’agriculture fait également des audits réguliers, via le réseau Bienvenue à la Ferme. Ces marques, sont à mettre en valeur, car cela garantit aux consommateurs les qualités et valeurs de l’apiculteur », continue Élodie Leullier. « La mention producteur récoltant, nous protège en tant qu’apiculteur, car c’est une mention de producteurs qui élèvent et transhument leurs abeilles. Les étiquettes protègent, mais encore faut-il vérifier ce qu’il s’y passe derrière », glisse la jeune apicultrice. Des étiquettes à double face qui d’un côté, ont le pouvoir de protéger les apiculteurs, mais mal employées, peuvent induire le consommateur en erreur.

Comment le consommateur peut-il s’y retrouver ?

« Nous avons développé un site culturel autour de l’abeille et du miel pour faire découvrir le miel de l’Ardèche, mais aussi pour alerter et sensibiliser les consommateurs concernant leurs achats. Quand on achète du miel, il faut aller à l’adresse physique et demander à voir l’outil de production », conseille l’apicultrice. Thomas Colléaux, agent du service de Santé, protection animales et environnement à la DGCCRF et Charlotte Piron-Cabaret, insistent : « Il faut que le consommateur regarde s’il existe qu’une seule origine au miel et s’il est de France. Le miel de différentes origines peut être une porte ouverte pour suspecter une fraude. »

Pour Claudine Guinet, la responsable du laboratoire Naturalim, il est inutile de boycotter la grande distribution pour l’achat de miel. « On peut faire confiance aux miels estampillés d’origine française. »

L’autre signal d’alerte pour le consommateur est le prix : « En dessous de 11 euros le kilo, on peut s’interroger sur sa provenance », note Thibault Mercier, vice-président de l’ADA AURA.

Pour aider les consommateurs, l’ADA AURA a mis en ligne fin décembre, un site qui répertorie les producteurs de miel de la région. « C’est un site pour rassurer les consommateurs sur l’origine du miel et vérifier les engagements des producteurs », 3 indique Adèle Bizieux.

Fraude ou maladresse ?

Le fil est mince entre la fraude ou la maladresse. Et pour complexifier le tout, s’ajoute un réseau d’apiculteurs amateurs pas toujours au courant des législations et des normes. Les garants du contrôle ainsi que les apiculteurs ont parfois eux-mêmes du mal à s’y retrouver entre simple maladresse ou fraude intentionnelle. « Un apiculteur qui a mis ses ruches à proximité de champs de lavande et dont la composition n’est pas entièrement du miel de lavande, car les abeilles sont allées butiner ailleurs, ce n’est pas une fraude délibérée », indique Charlotte Piron-Cabaret.

Au-delà de l’étiquette, les services de contrôles ont également du mal à distinguer la fraude à la composition : « En période de disette, les apiculteurs peuvent être emmenés à nourrir les ruches avec de l’eau et du sucre, et l’on en retrouve des traces dans les analyses, ce n’est pas une volonté de fraude », témoigne Emmanuel Rey, apiculteur du Gaec l’Abeille Turquoise à Lamazière-Basse et ancien président du Syndicat des apiculteurs professionnels de la région. « Il y a un travail à faire de la part de la profession pour avoir des seuils d’utilisation de sirops. »

Un autre point que tient à souligner l’apiculteur, est le rôle joué par les négociants concernant l’opacité de l’origine du miel : « Les négociants en miel font des mélanges, ce n’est pas interdit, ni de la fraude, mais il y a une volonté de masquer le processus d’étiquetage. Les personnes qui font du négoce ont de grosses capacités de vente. Cela ramène de la confusion dans la traçabilité. Parfois, les négociants se font passer pour des producteurs. »

Avec le nouveau texte de loi voté par les eurodéputés fin décembre, qui engage les négociateurs à rendre obligatoire la mention de l’origine du pays, gageons, que la confusion sur l’origine aura une fin sous peu, bien que le manque de moyens pour effectuer les contrôles et les analyses soit souligné par InterApi, l’interprofession apicole. « Les méthodes d’analyse au niveau européen pour repérer l’adultération des miels ne sont pas totalement efficaces comme le souligne le rapport de mars 2023 de la Commission européenne », peut-on lire du côté de l’interprofession. « Les acteurs de la filière apicole française constatent et déplorent le manque de moyens des services de la DGCCRF pour contrôler le marché français. » Malgré le manque de moyens, les apiculteurs appellent de leurs vœux une augmentation des contrôles au niveau européen et français. « Les méthodes de fraude progressent et s’adaptent aussi aux analyses », interpelle Adèle Bizieux.

Début février, de nombreux apiculteurs ont manifesté à Lyon, dénonçant entre autres, l’import de miels frauduleux.

Marine Martin

1. source ADA France et InterApi.

2. Source : InterApi.

3. https://www.lerucherducoin.fr/

Des formations pour être mieux armé

En fin d’année, l’association ADA AURA organisera une formation « étiquettes » à destination des apiculteurs pour leur apprendre à mieux manipuler les codes de l’étiquetage et mettre en avant leur produit.

Chiffres

En 2021, au niveau national, 40 % des établissements contrôlés présentaient des anomalies et 4 produits sur 10.
Plus de 300 établissements ont été contrôlés et 176 analyses effectuées.
En Ardèche en 2022, 756 apiculteurs ont délcarés des ruches :
30 679 ruches déclarées contre 25 264 en 2021. Pour rappel, tout le monde a l’obligation de déclarer ses ruches.1

La région AURA est la première région apicole de France.
L’Ardèche, la Drôme et l’Isère sont les départements où l’on compte le plus d’apiculteurs
La production de miel en France est estimée 31 387 tonnes en 2022.2

1. Données issues des déclarations annuelles de ruches via la Direction générale de l'alimentation (DGAL )
2. Source ADA Aura.

Que dit l’accord de décembre 2023 avec le Conseil européen ?

Afin de lutter contre les fraudes et de mieux informer les consommateurs, les négociateurs ont l’obligation d’indiquer clairement à proximité du nom du produit, les pays de provenance du miel, et non plus seulement s’il provient ou non de l’UE. Les pourcentages de miel provenant des quatre premiers pays d’origine au moins, doivent également être indiqués. Un code d’identification unique pour retracer le miel jusqu’aux apiculteurs va être mis en place, ainsi que le renforcement et l’amélioration des contrôles, via une plateforme européenne d’experts.

Source Parlement européen.

Échantillons sans noms pour l'analyse ©ADA_AURA
Mise en pot du miel ©ADA_AURA
Produits du GAEC l'Abeille Turquoise. ©ADA_AURA