Un goût acidulé, une robe opaque noire et bleutée, de petits grains précieux, un fruit qui détone au milieu des buissons d’un vert étincelant : c’est la myrtille sauvage des Monts d’Ardèche, dont les fruits arrivent à maturité durant l’été.

La myrtille sauvage : l’or bleu des montagnes
La production de myrtille s’étale de fin juin jusqu’au 15 août, maximum. Crédit photo : Francis Giraud

Cet arbuste emblématique du territoire, pousse souvent à l’ombre des châtaigniers à 600 mètres d’altitudes et s’adapte très bien, niché à 1 300 mètres entre les rochers, balayés par le vent du nord.

Traditionnellement, la myrtille sauvage était une alliée naturelle pour pallier les fins de mois difficiles, qui étaient communs dans les hauts plateaux ardéchois.

Installé à Thueyts, Samuel Leynaud a repris les parcelles de myrtilliers sauvages de son père, ainsi que la châtaigneraie. Il entretient les buissons de myrtilliers sur 10 hectares. Il se souvient : « Quand j’entends parler les anciens, la saison des myrtilles payait leurs études, car les parents ne pouvaient pas. Cela faisait un apport économique indéniable. La myrtille s’est toujours vendue, même à l’époque où il y en avait énormément, jusque dans les années 1980-1990. Les anciens peignaient les endroits les plus accessibles, tout en haut, ils n’y allaient même pas. Puis le changement climatique est intervenu, s’est accéléré et ça a tout changé ».

Le changement climatique, facteur d’une production aléatoire

Le producteur a été témoin de l’évolution : « Dans les années 1960-1970, nous trouvions des myrtilliers à 400-500 mètres sous les châtaigniers. Désormais, ils fleurissent, mais ne font pas de fruits, à cause du réchauffement climatique. En basse altitude, les parcelles commencent aujourd’hui à 800 mètres jusqu’à 1 500 mètres d’altitude. Auparavant, nous avions de la neige l’hiver, ce qui protégeait du vent du nord les myrtilles jusqu’en mars. Le manteau blanc apportait l’azote nécessaire à la terre. Comme on dit : neige de février vaut le fumier », plaisante le cueilleur de myrtilles. « Désormais, il y a un effet chaud/froid même en hiver. La sève peut monter en janvier à cause d’un coup de chaud puis un coup de gel vient griller les myrtilliers », prévient-il. Francis Giraud, actuel trésorier de l’association de la Myrtille Sauvage d’Ardèche, producteur et maire de Saint-Julien-du-Gua, renchérit : « Il faut monter de plus en plus haut pour avoir des fruits moins fragiles et moins secs à cause du climat ». Le producteur de Thueyts de son côté, constate : « L’année dernière, le printemps et été très chaud. En basse altitude, j’ai produit environ 50 kg de myrtilles. Il y avait une bonne floraison, mais elles ont mûri début mai, je n’avais jamais vu ça. Le temps très chaud et sec a tout séché. A contrario, en haute altitude, on a profité des pluies, fin juin, et on a pu faire 500 kg que je vends principalement à des grossistes ».

L’intérêt de diversifier les activités

Si le prix du marché est stable, le producteur ne se fait pas d’illusions. Pour lui, l’activité principale reste la production de châtaignes : « Maintenant à partir de mi-août les myrtilles, c’est fini, il faut diversifier les activités, les rendements sont trop aléatoires ». Un avis partagé par Francis Giraud : « Peu de producteurs sont restés, car le produit est fragile, c’est un complément de revenu, la production n’est pas assez régulière pour que les gens se lancent ».

La production, justement, s’étale de fin juin jusqu’au 15 août, maximum. « La première myrtille apparaît autour du 10 juillet, c’est celle des châtaigniers, plus grosse et plus fragile », détaille le trésorier de l’association. « C’est le deuxième produit de l’Ardèche après la châtaigne. La myrtille sauvage est un produit de luxe qui n’a rien à voir avec le bleuet. Apprécié par les habitants et les touristes, c’est un produit qui a du goût », déclare-t-il fièrement.

L’attrait pour ce « produit de luxe », se traduit notamment par son prix au kilo et son mode de vente : le cueilleur de myrtilles relève toutefois que contrairement à la production de Samuel Leynaud, « pour 90 % des producteurs, il s’agit de vente directe. Nous sommes à environ 10 € le kg. Peu de grossistes veulent mettre ce prix-là d’autant plus que la concurrence est rude. Des myrtilles, même bio, qui proviennent d'autres pays inondent le marché », s'inquiète le représentant de l'association de la Myrtille Sauvage d'Ardèche.

Une production nécessaire au maintien des paysages

Samuel Leynaud, de son côté, regrette le temps où il y avait davantage d’éleveurs dans le coin : d’après le producteur, ils ont en partie déserté le haut plateau, découragé par l’âpreté de la vie menée et un terrain trop accidenté et escarpé : « Cette région, pour la culture et l’élevage, est difficile. On a évolué : maintenant, il faut du plat, du rendement et y être tout le temps. Quand il y avait des troupeaux, il y avait énormément de myrtilles. Il s’en récolte 5 fois moins aujourd’hui que dans les années 1970-1980. Depuis, les genêts entre autres ont poussé, car les troupeaux ont disparu, la nature a repris ses droits et à tout étouffé. Cependant, cet arbrisseau n’a pas une longue durée de vie. Au bout de 15 ans, les genêts ont éclairci, et les myrtilliers sont revenus. D’autres arbustes sont apparus comme des cerisiers ou pommiers sauvages. Quand j’ai vu que dessous il y avait des myrtilliers qui repoussaient, j’ai tout arraché à la main, car il faut entretenir pour éclaircir les arbustes ».

Si cet équilibre entre les fruits de la nature, les cueilleurs de myrtilles et le pastoralisme est perturbé, c’est tout l’environnement et les paysages des Monts d’Ardèche qui vont s’en trouver changés. D’où la nécessité de trouver des solutions.

« À travers le maintien de la production, c’est tout un paysage que l’on essaie de protéger. Les myrtilliers sont des coupe-feu et permettent que le territoire ne s’embroussaille pas », alerte Francis Giraud. « Le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche a d’ailleurs réalisé une action d’ouverture de parcelle pour la myrtille sauvage : ils ont coupé les genêts, les ronces, la bruyère. Il existe une aide dont une partie est prise en charge à ce sujet. » La myrtille sauvage, fruit fragile, ne pousse pas n’importe comment : « Il faut qu’elle soit en plein soleil avec très peu d’ombre et un sol plutôt acide. Il y a uniquement des fruits versant nord au plus froid, car côté sud, la chaleur stoppe la myrtille. On a fait des essais en les arrosant et en les voilant pour avoir une meilleure production, mais ce n’est pas concluant », observe le producteur.

La myrtille sauvage offre ses fruits à la cueillette, mais reste indomptable. Outre ses bienfaits connus de tous, ce fruit délicat et exigeant en fait une denrée rare qui s’arrache comme des petits pains sur les marchés. Preuve que malgré la complexité de sa production, la myrtille sauvage a encore de belles années devant elle, veillée par les Monts d’Ardèche.

Un savoir-faire presque immuable
Les myrtilles ramassées à l’aide d’un peigne en fer. Crédit photo : Francis Giraud

Un savoir-faire presque immuable

Ce fruit délicat demande patience et dextérité : à l’aide d’un peigne, penché au-dessus des buissons, hotte en osier sur le dos, les paysans l’ont ramassé ainsi pendant des décennies. Depuis, le savoir-faire n’a que très peu évolué, toujours armé d’un lourd peigne en fer pour la récolte. Seules les caisses plastiques percées ont remplacé le panier en osier. L’âpreté du travail, elle, n’a pas changé : selon Samuel Leynaud, peu nombreux sont les candidats pour peigner les myrtilles. « Il faut être habitué au peigne en fer. On commence à la pointe du jour, on peigne parfois toute la journée. S’il fait très chaud, la myrtille mûrit très vite, on doit les peigner en un temps record, le terrain n’est pas tout plat, on travaille dans les dévers. En haute altitude, le dos et les chevilles trinquent, le corps est mis à rude épreuve pendant le ramassage des myrtilles. Avant les anciens descendaient jusqu’à Thueyts avec 100 kg sur leur dos. » Cette perle bleutée se mérite, car la production de myrtilles sauvages est « très peu mécanisable » selon Francis Giraud, dû à un territoire escarpé.

Zoom sur la Drosophila Suzukii

Cela fait un peu moins de 5 ans que la Drosophila Suzukii s’invite dans les parcelles de myrtilliers : « La Drosophile nous oblige à récolter en 3 semaines, heureusement, il y en a moins ces deux dernières années, elle aime les coins très humides », constate Francis Giraud. Un climat plus chaud et sec en cause ou non, les producteurs ne peuvent le dire. Cependant, le producteur de Thueyts, Samuel Leynaud, ajoute : « Il y a deux ans, les myrtilles sont tombées d’un coup, infestées de larves de la drosophile, mais l’an dernier, nous avons eu un bon coup de gel en avril, qui a peut-être tué les larves et nous avons été relativement épargnés ». Une production très aléatoire donc, au gré du changement climatique et de la drosophile.

À vos agendas !

Le samedi 5 août se tiendra la Fête de la myrtille à Mézilhac ! L’occasion pour les gourmands de venir goûter aux mets préparés à partir de ce petit fruit sauvage, de participer à la cueillette et aux animations organisées tout au long de la journée.

Chiffre

400 tonnes de myrtilles sont ramassées chaque année sur la montagne ardéchoise.