ABRICOT & PÊCHE
Potentiel de production : "L’heure n’est pas à l’économie"

En France, la récolte d’abricot commencera globalement fin mai et celle de pêche nectarine début juin. Entretien avec Bruno Darnaud, président de l’AOP pêche et abricot de France, ainsi que du Gefel1 et de la Sefra2.

Potentiel de production : "L’heure n’est pas à l’économie"
ITW
Bruno Darnaud.

Quelles sont les prévisions de récolte d’abricots et de pêches en France ?

Bruno Darnaud : « Nous nous attendons à une production à peu près identique à l’année dernière, à 2% près. Notre grande inquiétude est la sécheresse. L’Espagne subit des canicules et des problèmes d’eau très importants. En France, nous rencontrons de grandes difficultés dans les Pyrénées orientales mais pas seulement puisque des alertes de sècheresse très précoces sont en vigueur dans tous les départements producteurs d’abricots ou de pèches. »

Quel serait l’impact direct de la sécheresse sur ces productions ? 

B.D. : « Si l’impact est faible, cela jouera sur le calibre des fruits. Si l’impact est fort, il n’y aura pas de production. En cas d’arrêt de l’irrigation, la récolte pourrait être menacée voire le verger, c’est pourquoi il est important de pouvoir la maintenir. Notre chance jusqu’à présent, c’est que nous avons eu un mois d’avril très chaud mais les besoins des plantes n’ont pas été exagérés, un peu comme en 2022. Nous savons aussi qu’il suffit d’une ou deux pluies pour sécuriser la production. Toutefois l’incertitude reste assez forte, les situations seront très différentes selon les méthodes d’irrigation.

Quelles sont les stratégies de promotion de la production française ? 

B.D. : « Le salon MedFEL à Perpignan fin avril a été l’occasion de fêter les quinze ans de l’AOP, qui représente environ 80% des volumes de production de pêche et nectarine et 65% d’abricot en France. Nous y avons réuni l’ensemble des entreprises productrices adhérentes à l’appellation, distributeurs français et metteurs en marché pour travailler côte à côte et passer au mieux la saison qui s’ouvre. Les distributeurs sont à la recherche de premiers prix mais le coût de la main-d’œuvre pèse très lourd en pèche et abricot. Nous avons insisté sur le basculement entre produits espagnols et français même si nous ne sommes pas sur une année précoce. En 2022, il s’est fait naturellement car il n’y avait pas de production espagnole. Cette année, nous insistons pour que le basculement ait lieu dès que les volumes de production française arrivent. Nous leur avons rappelé les efforts à faire sur la mise en valeur du produit français et l’attractivité du prix proposé au consommateur. »

Comment la production française peut se démarquer ? 

B.D. : « Le label Vergers écoresponsables garantit la qualité des fruits et la qualité environnementale des vergers, qui sont de fortes demandes sociétales. La qualité gustative est capitale en abricot, d’où l’intérêt de fluidifier le marché des distributeurs, leur demander de communiquer sur ce label et rester sur des produits frais pour satisfaire les consommateurs. »

La consommation d’abricot est en baisse. Quels projets sont menés pour attirer les consommateurs ? 

B.D. : « Des efforts ont été faits en production et en distribution. Nous avons eu des qualités gustatives trop faibles ou moyennes ces dernières années. On a mis en place un indice qualité qui permet d’évaluer la couleur du fruit et son calibre, ainsi que des tests de dégustation en station et chez les distributeurs pour affiner au mieux les variétés. Une à deux variétés très précoces et peu qualitatives sont en train d’être éliminées petit à petit. »

Les potentiels de production se maintiennent-ils ? 

B.D. : « En pèche nectarine, nous avons un bon taux de renouvellement des vergers, donc une production stable, liée aux campagnes positives de ces dernières années. En abricot, nous sommes plus inquiets sur l’avenir de la filière, notamment en région Rhône Alpes où les vergers sont très anciens et le taux de renouvellement insuffisant. Les producteurs hésitent à réinvestir dans l’abricot avec les aléas climatiques de ces dernières années et un marché qui ne s’est pas tenu, alors qu’il faut le faire pour maintenir les volumes de production. Nous avons besoin de nous réveiller très clairement si nous ne voulons pas perdre de parts de marché en rayon. »

Comment dynamiser la filière ?

B.D. : « Cela passera par la variété, retrouver un produit apprécié et attendu par le consommateur, par la protection contre les aléas climatiques, avec la couverture des vergers contre la grêle, des moyens de lutte contre le gel et une meilleure stratégie dans le choix et la diversité variétale face aux aléas. Cela passera aussi par un marché rééquilibré et rémunérateur pour le producteur. »

Des mesures d’aides à la transition existent. Sont-elles suffisantes ?

B.D. : « Beaucoup d’aides à la transition existent. Maintenant, il faut arriver à convaincre les producteurs d’investir. Aujourd’hui, ceux qui réussissent sont ceux qui investissent le plus en termes de matériel végétal et de main-d’œuvre. L’heure n’est pas à l’économie. La prise de risque est très importante, c’est pourquoi ces mesures d’aides sont capitales, mais il n’y aura pas de réussite sans prise de risque. Aujourd’hui, un producteur qui s’installe doit investir et se renseigner sur toutes les aides dont il peut bénéficier. »

Quelles sont les thématiques prioritaires d’expérimentation ?

B.D. : « Trouver des méthodes alternatives face à la sécheresse. Nous menons une expérimentation sur un verger agrivoltaïque de 3 hectares de pèche, abricot et cerise, planté en 2022 à Etoile-sur-Rhône. Il se compose de panneaux photovoltaïques orientables situés sur le rang et donne déjà de bons résultats par rapport au verger témoin, notamment une économie de 30% d'eau en mettant les arbres à l'ombre quand il fait trop chaud. Les résultats sont aussi intéressants sur la gestion des phytosanitaires, la protection face au gel avec un écart de température de 1 à 2°C, sur les conditions de travail... La structure des panneaux aide également à l’installation de filets anti-grêle. Au départ, nous étions inquiets sur les paramètres d’ensoleillement et d’ombre, mais quand les panneaux sont à l’horizontale, la lumière entre très bien.

La recherche sur l’optimisation de l’eau est un autre point très important. Dans nos régions, nous avons des réseaux d’irrigation qui correspondent à une époque où nous avions de la pluie. Aujourd’hui, il faut se pencher sur ce qu’il se fait en Israël ou au Maroc, continuer d’optimiser l’eau et non la supprimer. Nos produits, ce sont 80 à 85% d’eau. »

Propos recueillis par Anaïs Lévêque

1. Gouvernance économique des fruits et légumes.

2. Station d'expérimentation fruits d'Auvergne-Rhône-Alpes.