ÉLEVAGE
Le casse-tête du maillage vétérinaire

Pauline De Deus
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Comme l’Aude ou la Dordogne, l’Ardèche est l’un des départements le moins doté en vétérinaires pratiquant la rurale. Et si la prise de conscience est bien présente, les solutions émergent difficilement.

Le casse-tête du maillage vétérinaire
Dans les territoires où la densité d'élevages est faible, les vétérinaires manquent. ©Pexels_mat-brown

« Dans nos régions, on n’a aucun intérêt à maintenir l’activité rurale. » Aux Vans, Gabrielle Guillou assume seule le soin aux animaux de compagnie et aux animaux de rente. Pour cette seconde partie (10 à 15 % de l’activité), la vétérinaire travaille à perte. « Si je faisais des prix plus élevés, les éleveurs ne soigneraient pas leurs animaux, ils n’en n’ont pas les moyens », défend-elle. Un constat relativement similaire en centre Ardèche. À Privas, les deux vétérinaires de la Clinique du Lac, passent 50 % de leur temps en élevage. Un travail qui ne représente qu’un tiers du chiffre d’affaires de l’établissement. Aujourd’hui, dans la plupart des cliniques du secteur, l’essentiel du modèle économique repose sur les soins dits « canins » (animaux de compagnie).

« Entre les coûts de déplacement et le temps qu’on y passe, c’est forcément moins rentable en élevage, explique Virginie Soulageon, à la Clinique du Lac. Et au cabinet, je peux faire une opération entre deux consultations, ce n’est pas possible à l’extérieur. » Pourtant la jeune vétérinaire n’envisage pas un instant d’arrêter la rurale. « C’est ce que je préfère… J’aime être dehors et c’est varié. Je ne me vois vraiment pas faire autre chose », assure-t-elle.

L’Ardèche cumule les handicaps

La nouvelle génération est loin d’avoir le profil de Virginie. Alors que le nombre de vétérinaires progresse chaque année, ceux qui déclarent une activité rurale sont en baisse constante. Chez les 20-40 ans inscrits à l’ordre des vétérinaires, seuls 38 % déclarent une compétence pour les animaux de rente. Et pour ces jeunes intéressés par la rurale, ils auront tendance à se tourner vers des territoires où la démographie des cheptels est plus concentrée. Avec ses troupeaux restreints et disséminés sur les territoires, l’Ardèche cumule les handicaps : peu d’attractivité pour les vétérinaires d’élevage, un manque de rentabilité, une contrainte importante liée au temps de déplacement… Et la concentration du secteur n’arrange rien.

À Lamastre, le cas du cabinet du Mercadal en est le parfait exemple. À l’automne 2021, cet établissement est racheté par une chaîne de cliniques française. Brusquement l’activité rurale est abandonnée, au profit de l’activité canine. « On travaillait depuis 15 ans avec ces vétérinaires. Du jour au lendemain, on a appris qu’ils avaient arrêté », raconte Corentin Blanc, éleveur d’Aubrac au Crestet. « C’était juste avant la période de prophylaxie », se souvient Margot Brie, directrice du Groupement de défense sanitaire (GDS) de l’Ardèche. Sans ces examens obligatoires, les éleveurs ne peuvent plus vendre ou accueillir de nouveaux animaux sur leurs fermes. Pour faire face à l’urgence, les services vétérinaires de l’Ardèche ont eux-mêmes embauché une jeune vétérinaire pour mener les campagnes de prophylaxie. Et pour les urgences, c’est le dernier vétérinaire de rurale du secteur qui a dû s’en charger, en plus de sa clientèle habituelle.

Au sud, la situation inquiète

Depuis cet épisode en nord Ardèche, la situation s’est stabilisée, notamment grâce à l’embauche de vétérinaires menant une activité rurale au cabinet de Lamastre. Désormais c’est le sud du département qui inquiète. Le maillage vétérinaire déjà fragile risque encore de se dégrader dans les années à venir avec la cessation programmée de quatre cabinets pratiquant la rurale auprès de 369 éleveurs. Si les services vétérinaires ont connaissance de la situation, ils peinent à mobiliser. « Il y a une prise de conscience générale. Pourtant on a de grosses difficultés à être suivi », reconnaît Stéphane Klotz, chef de service santé et protection animales à la DDETSPP1. Notamment du côté des collectivités locales dont les compétences en la matière ont été élargies grâce à la loi Daddue de 2017, puis de 2020. Avec cette évolution législative, les mairies et communautés de communes peuvent mettre à disposition un logement aux vétérinaires, financer des cabinets ou encore indemniser les étudiants. Des outils encore assez peu utilisés en Ardèche.

Progressivement, la profession commence elle aussi à se mobiliser. En septembre, une réunion a réuni plusieurs vétérinaires pratiquant la rurale, en sud Ardèche. « L’objectif, c’est d’ouvrir la parole. Que chacun explique son organisation pour qu’on essaie de trouver des solutions », détaille Véronique Dumas-Soulageon, vétérinaire privadoise et membre de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires. Et de poursuivre : « Jusqu’à maintenant on n’avait assez peu de contacts entre nous, mais vu la situation, il faut qu’on se serre les coudes ! »

Si elles ne permettent pas encore de résoudre le problème à long terme, ces pistes peuvent donner un peu d’espoir aux éleveurs, dont le métier est intimement lié à cette épineuse question du maillage vétérinaire.

Pauline De Deus

1. Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations.

Désertification : un cercle vicieux

Plus la désertification avance et plus les éleveurs prennent l’habitude de se passer de vétérinaire traitant. En sud Ardèche, un éleveur ovin confie qu’il « se débrouille avec des collègues », un éleveur bovin raconte quant à lui « qu’un copain vétérinaire vient faire des consultations gratuites », d’autres vont dans les départements voisins en cas de besoin. Pour combler le vide laissé par les vétérinaires, d’autres acteurs ont aussi fait leur apparition, telles que les coopératives pour la vente de médicament, la reproduction, le contrôle du lait, entre autres. De même que des vétérinaires dont l’activité en rurale se limite uniquement à la vente de médicaments.

Un véto traitant pour gérer les urgences

Des services qui n’offrent toutefois pas le même suivi qu’un vétérinaire traitant. « Les éleveurs qui travaillent avec nous tout au long de l’année, ils ont moins besoin d’utiliser des médicaments », assure Deborah Prévost, vétérinaire à Privas. « On peut faire de la prévention, ce qui limite les interventions d’urgence », souligne aussi une collègue d’un cabinet voisin. Et lorsqu’il est appelé par un éleveur qui ne fait pas partie de sa clientèle, le vétérinaire ne se déplacera pas toujours. « Soit vous venez chez nous et on peut recruter des vétérinaires, soit non et si vous appelez pour une urgence, on ne se déplacera pas ! Je suis navrée de devoir faire ça, mais on n’a pas le choix », explique Deborah Prévost. Car pour les vétérinaires, les urgences en élevage font partie des activités les plus contraignantes et les moins rentables. Le tout en leur faisant prendre le risque de ne pas être disponible pour leur clientèle si une autre urgence intervient au même moment.

Vers une approche collective

Face à cette problématique, en Auvergne-Rhône-Alpes, la Fédération des éleveurs et des vétérinaires en convention (Fevec) s’est créée. La Fevec propose de réaliser des conventions entre association d’éleveurs et cabinets de vétérinaire. L’idée est de sortir du principe de paiement à l’acte et de rémunérer le vétérinaire par le biais des cotisations des éleveurs. Ainsi, une mission globale du vétérinaire est mise en place : des interventions pour les urgences mais également un suivi tout au long de l’année. « Il faut repenser la rurale aujourd’hui, dans les zones où il y a très peu d’éleveurs, on ne peut pas rester sur une approche individuelle », plaide Philippe Sulpice, animateur à la Fevec. Toutefois, en Ardèche, les groupements d’éleveurs qui ont existé par le passé ont aujourd’hui disparu et l’expérience n’a pas été réitérée en raison des contraintes du territoire.

Vétérinaire : un métier en mutation
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ENSEIGNEMENT

Vétérinaire : un métier en mutation

Davantage de jeunes, de femmes, de salariés… Le profil des vétérinaires s’est profondément modifié ces dernières années et les aspirations des professionnels ont changé. Une transformation rapide qui chamboule la profession. 

À Privas, Deborah Prévost cherche depuis plus d’un an à remplacer l’une de ses salariées. Annonce payante, photos alléchantes, horaires adaptés aux demandes des candidats, visites de logement pour le futur embauché… Pour cette déléguée régionale du Syndicat des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), la tâche a été plus rude que prévu : « En seulement quatre ans, ça a beaucoup changé… Avant, on mettait une annonce et on avait des réponses. Là, pendant trois mois, je n’ai pas eu un candidat. Il a fallu 14 mois et 80 heures de travail pour finalement trouver un salarié. » Face à ces recruteurs, de jeunes vétérinaires qui, à peine sortis de l’école, ont déjà plusieurs propositions. Sans oublier que les aspirations de la nouvelle génération ont changé. « Les anciens enchaînaient les gardes et pouvaient faire 70 heures par semaine, mais les cabinets ne retrouveront plus ça ! On veut avoir du temps pour notre vie personnelle », résume Lydie Cachard, vétérinaire de 28 ans.

Des dizaines de jeunes quittent la profession

L’exercice de la rurale est d’autant plus complexe, qu’il faut jongler avec les horaires des salariés et les contraintes des gardes à l’extérieur. « Et puis, en tant que jeune vétérinaire, on a du mal à être autonome en rurale. Et quand on part seul en élevage, on ne peut pas s’appuyer sur nos collègues, comme c’est le cas en cabinet », raconte Lydie Cachard. Cette jeune véto, sortie de l’école il y a peu, a choisi de travailler en nord Ardèche, près de sa famille, après deux ans passés dans le Limousin à exercer en rurale. « Si on n’a pas des proches, on ne tient pas », confie la jeune vétérinaire. Rythme de travail effréné, pression quotidienne, risque physique lié à la manipulation des animaux… Des contraintes qui poussent, chaque année, des dizaines de jeunes vétérinaires à quitter la profession1.

Malgré cet abandon massif, ils restent plus nombreux à entrer dans la profession qu’à la quitter chaque année. Une démographie positive que l’on doit notamment à l’abolition du numerus clausus, à la création de prépa post-bac ou encore aux nombreux vétérinaires français qui vont passer leur diplôme à l’étranger. Toutefois, cette démographie positive ne suffit pas à combler le manque de professionnels dans tout le pays. Alors pour attirer les jeunes vétérinaires en zone de campagne, la concurrence est rude. Stages tutorés ou alternances en rurale, actions dans les écoles, offres de découvertes des territoires… Comme pour la médecine, tous les territoires se mobilisent pour tenter d’éviter la désertification vétérinaire.

1. D’après l’observatoire démographique de la profession vétérinaire, près de 300 professionnels quittent l’ordre chaque année, dont la moitié à moins de 40 ans.

Télémédecine : vers un cadre légal

Pour les vétérinaires, la télémédecine est actuellement illégale, ou du moins aucun texte n’encadre sa pratique. Outre les conseils, les consultations à distance doivent, elles, être réglementées. Après un décret, en 2020, permettant une expérimentation de la télémédecine en soin animal, une mise à jour législative est prévue. Toutefois la pratique de la télémédecine ne permettra pas de résoudre totalement le problème du maillage vétérinaire. « Les éleveurs sont très techniques. Quand ils font appel au véto, c’est qu’ils ont vraiment besoin qu’un professionnel se déplace », insiste Margot Brie, directrice du GDS 07.

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C'est le nombre de cabinets de vétérinaires présents en Ardèche, dont seulement 12 interviennent en élevage auprès des 160 000 bêtes présentes sur le département. Seize cabinets des départements voisins interviennent également dans les élevages ardéchois.

Top départ des campagnes de prophylaxie

Depuis le 1er octobre, et la publication d’un arrêté préfectoral sur le sujet, les campagnes de prophylaxie sont officiellement ouvertes. Pour les bovins, ovins et caprins, les prélèvements pourront être réalisés jusqu’au 30 avril 2024. Parmi les dépistages sur sang obligatoires en Ardèche : la brucellose (bovine, ovine et caprine), la leucose bovine enzootique (LBE), la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR). Pour la filière porcine, en revanche, la campagne ne débutera qu’au 1er janvier prochain et s’étalera tout au long de l’année 2024. Il s’agira de dépister la maladie d’Aujeszky.

MHE : deux communes ardéchoises en zone réglementée

Plus de 1 000 foyers de MHE ont déjà été recensés dans le pays. Détectée pour la première fois en France, mi-septembre, la maladie hémorragique épizootique (MHE) est transmise par des moucherons piqueurs aux bovins. Après le sud ouest, un foyer a été confirmé dans le Tarn la semaine dernière. Situées dans un rayon de 150 km de ce foyer, deux communes ardéchoises sont concernées par la zone réglementée. Il s’agit de Malbosc et des Vans où sont présents 14 éleveurs de ruminants et 2 éleveurs bovins. Dans cette zone, les animaux transportés à l’abattoir doivent l’être directement, les véhicules doivent être désinsectisés et l’abattage doit avoir lieu dans les 24 heures. Un protocole de désinsectisation doit aussi être mis en place pour les mouvements d’animaux.