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Les agriculteurs attendent « une prise de conscience, là-haut »
De petits yeux, des mines fatiguées mais une détermination sans faille. Au matin de la troisième journée de mobilisation au pont de Serrières, après deux nuits sur place, les agriculteurs, se réchauffent autour du braséro, avant la prise de parole du premier ministre, Gabriel Attal, cet après-midi en Haute-Garonne.
« Ils arrivent, ils sont allés nourrir les bêtes », annonce tout de go, Guillaume, éleveur de vaches allaitantes et de volaille à Saint-Marcel-lès-Annonay et membre de la FDSEA 07.
Ce matin, 26 janvier, au troisième jour de la mobilisation départementale, les agriculteurs continuent de tenir le rond-point, face au pont qui sépare l’Ardèche de l’Isère. Un barrage filtrant d’où quelques voitures s’échappent : infirmières, taxis, pompiers, ou encore Samu peuvent passer sans encombre. À l’autre bout du pont, se trouvent les collègues de l’Isère, venus en nombre pour exprimer le profond mal-être de la profession. Quelques viticulteurs et arboriculteurs de la Haute-Loire voisine ont fait le déplacement jusqu’à Serrières. « On se sent soutenu, c’est un vrai plaisir d’être ensemble, nous n’avons pas reçu de mauvais commentaire », glisse Anthony Vallet, vigneron à Serrières et représentant local de la FDSEA. Si les sourires se dessinent sur les visages des agriculteurs et les mains se lèvent lorsque des voitures klaxonnent, il ne faut pas s’y méprendre. L’heure est grave pour le monde de l’agriculture qui se sent délaissé par le gouvernement. « C’est incroyable qu’ils prennent autant de temps pour nous répondre », lance Anthony Vallet, en évoquant la prise de décision du gouvernement qui se fait attendre. Vincent Magnard, éleveur de vaches laitières à Brossainc, confie son inquiétude : « Nous avons des politiques déconnectés de la réalité ».
En Haute-Garonne, le Premier ministre doit s’exprimer en fin d’après-midi. « On a attiré le regard, il faut maintenant serrer le portefeuille de l’État », lance, résolu, Anthony Feasson, éleveur bovin lait et producteur de cerises Ardoix et président JA du canton d’Annonay. « On vise les centres stratégiques. Nous demandons le respect et un juste prix. Le but est de créer une prise de conscience, là-haut. Car les Français, eux, ont très bien compris les enjeux. » Certains n’hésitent d’ailleurs pas à les rejoindre un moment sur le rond-point, comme ce couple, habitants de Serrières venus montrer leur soutien : « On descend tous les jours depuis le début. Mes parents étaient paysans, je me sens concernée », affirme la résidente de Serrières. Son époux, renchérit « on achète nos produits à Peaugres, en local, et ce n’est pas forcément plus cher. »
« Chaque année, on serre les dents, mais on a plus de dents. »
Si tous les agriculteurs ne peuvent se permettre la vente directe, l’un des seuls interlocuteurs est alors la grande distribution. La marge réalisée sur les produits, fait partie des revendications les plus importantes. « Ceux qui font le gros du travail sont moins bien payés. On doit se contraindre aux volontés des grands industriels pour vendre », résume Christophe Boucherand, viticulteur à Saint-Désirat. « Nous n’avons pas de maîtrise sur le prix de vente. La loi Egalim était censée nous protéger », ajoute-t-il. « Chaque année, on serre les dents, mais on a plus de dents », grince le viticulteur.
Une des autres revendications souvent entendues, est au sujet autour de la difficulté à recruter de la main-d’œuvre. « Le métier d’agriculteur est dénigré, plus personne n’a envie d’être agriculteur », continue Christophe Boucherand, sur sa lancée. « Alors que c’est un métier magnifique », intervient Anthony Vallet. Concernant la certification HVE (Haute Valeur Ajouté) qui garantit une traçabilité, les agriculteurs sont amers. « Ça ne devait pas être obligatoire, mais aujourd’hui toutes les centrales d’achats le demandent et on n’a rien eu en compensation. Notre travail pour la HVE n’est pas mis en avant. Pourtant, on connaît les cahiers des charges, on en fait depuis 30 ans ! », s’emporte Christophe Boucherand.
La souveraineté alimentaire en question
Qu’on ne parle pas de l’accord Mercosur1 à Guillaume, l’éleveur de Saint-Marcel-Lès-Annonay. « Ça me hérisse les poils », avoue-t-il. « Il ne faut pas importer de produits, ou alors qu’on importe seulement ce qu’on ne sait pas produire », scande l’éleveur. Même au sein de l’Europe, les règles du jeu ne sont pas les mêmes, selon les exploitants. « Il faut que l’on soit en concurrence égale sur les produits au niveau européens », observe Vincent Magnard. Concernant les intrants, Anthony Vallet n’a pas l’impression d’être un pollueur : « Depuis 30 ans, on a énormément réduit les phytosanitaires. 130 molécules sont utilisées en France contre 2 800 en Argentine et certains produits espagnols moins sévères sur les phytosanitaires sont autorisés. »
Ce soir, si le gouvernement ne prend pas la mesure de la crise dans laquelle est plongée la filière, il y a fort à parier que les braises de la colère n’auront pas de mal à s’enflammer et la mobilisation, à se poursuivre.
1 Accord commercial de libre-échange entre l’Europe et les pays latinos-américain. La France "s'oppose à sa signature ".