La mouche du cerisier fait des ravages dans les vergers notamment et commence à apparaître dans les parcelles de vignes. Si les producteurs semblent se trouver aujourd’hui dans une impasse, la recherche avance.
C’est le cauchemar des producteurs de cerises depuis une dizaine d’années. À chaque campagne, la pression de la Drosophila suzukii (DS) se fait toujours plus forte dans les vergers. Selon le CNRS, cette espèce invasive et nuisible « peut dévaster jusqu’à 80 % de la production d’un champ de framboises ou de cerises ». La lutte est donc difficile d’autant plus depuis que des insecticides efficaces ont été retirés du marché. Le salut pourrait se trouver dans les solutions non chimiques : le filet en tête. Si ce dipositif demeure l’un des plus efficaces connus à ce jour, il est toutefois onéreux en temps et en argent. La recherche n’a pas pour autant baissé les armes. Des pistes émergent. L’Inrae, en collaboration avec le CTIFL, le CNRS et l’Université de Côte d’Azur, porte par exemple le projet SuzuKIISS : ME qui travaille sur le développement de la technique de l’insecte stérile (TIS) contre la DS. Financé par Ecophyto sur 2022-2024, il permettra « d’avancer sur la maturation de la technologie et valider les modalités optimales d’utilisation en tunnels de cultures et en parcelles protégées par des filets », explique le CTIFL sur son site Internet. Autre projet : SUZoCARPO. Lancé le 1er janvier dernier, il est piloté par l’équipe de recherche et développement en lutte biologique (RDLB) de l’Institut Sophia Agrobiotech. Il donne suite à plusieurs projets de recherche qui visent à introduire des insectes parasitoïdes pour lutter durablement notamment contre la Drosophila suzukii. Le projet concerne également Cydia pomonella ou le carpocapse de la pomme.
L’introduction d’insectes parasitoïdes
Après un voyage en Asie pour prélever des parasitoïdes, les chercheurs ont identifié Ganaspis cf. brasiliensis pour lutter contre la DS. « La première campagne d’introduction est prévue en fin d’été (septembre-octobre). Les années suivantes, d’autres campagnes d’introduction auront lieu, et notamment au printemps (avril-mai) si possible », explique Nicolas Borowiec, entomologiste à l’Inrae. Les introductions auront lieu dans un premier temps en région Provence-Alpes-Côte d’Azur « au regard de la position stratégique de cette région en termes de productions fruitières et de considérations logistiques », poursuit l’ingénieur d’études. « Toutefois, cette opération a vocation à permettre une acclimatation du parasitoïde la plus large possible. Nous disposerons donc de sites implantés dans d’autres régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est, Aquitaine) », précise-t-il. Par ailleurs, pour permettre l’acclimatation de Ganaspis cf. brasiliensis et obtenir une réduction des niveaux des populations de DS à l’échelle du paysage, « en particulier dans les zones refuges de la mouche comme les fruits sauvages, les arbres abandonnés, jardins…) », les chercheurs sélectionnent des sites possédant diverses cultures favorables à la DS. Ces sites sont souvent entourés de zones plus ou moins naturelles ou en friches, et dans lesquelles des plantes sauvages favorables à la mouche sont présentes à différents moments de l’année (sureau, ronces…).
Élevés en labo
« Les introductions sont prévues dans ces réservoirs de plantes sauvages pour favoriser l’établissement du parasitoïde (ressources favorables présentes plus longtemps). Nous suivrons ensuite leur dynamique d’établissement, et leur dispersion notamment vis-à-vis des cultures présentes sur le site », affirme Nicolas Borowiec. « Pour mener à bien un projet comme SUZoCARPO, il est essentiel pour les chercheurs de disposer en nombre à la fois des insectes ravageurs, mais également de leurs parasitoïdes qui permettraient de les éliminer ou de les réguler. Pour cela, il est nécessaire de procéder à l’élevage de l’ensemble de ces insectes en quantité suffisante pour, dans un premier temps, mener les expérimentations en laboratoire et sur le terrain puis, dans un second temps, effectuer des lâchers sur les parcelles infestées », explique le site Internet de l’Inrae. Les insectes sont dès lors élevés en conditions contrôlées (salles confinées avec température et humidité définies).
Un anti-aphrodisiaque
Autre piste plus étonnante : des odeurs perturbantes. La start-up Cearitis, spécialiste du biocontrôle en arboriculture, a, en effet, obtenu une licence exclusive pour développer l’anti-aphrodisiaque DrosoMous contre la mouche des fruits Drosophila suzukii, a annoncé un communiqué le 28 avril dernier. Cette solution a été mise au point par des chercheurs du Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) en Bourgogne-Franche-Comté1, qui ont découvert que « deux molécules odorantes diminuaient fortement la parade et bloquaient la copulation » chez une cousine de Drosophila suzukii. Une fois le moucheron dévié par le répulsif, il est ensuite dirigé vers une solution attractive disposée à l’intérieur d’un piège. L’invention a ensuite été brevetée et validée « en condition réelle » contre la mouche des fruits par Sayens, société d’accélération du transfert de technologies (SATT), qui a concédé la licence. Cearitis a réalisé ses premiers essais en 2022 en France, en Espagne et au Portugal, avec des résultats « prometteurs et encourageants ». La start-up a obtenu « plus de 70 % d’efficacité » en vergers de cerisiers, et « plus de 90 % » d’efficacité en vergers d’oliviers. Des pistes à surveiller donc pour ralentir la DS.
Marie-Cécile Seigle-Buyat avec Agra Presse
1. Cette unité mixte de recherche est sous la tutelle de l’Institut Agro Dijon, du CNRS, de l’Inrae et de l’Université Bourgogne-Franche-Comté
Contre la Drosophila suzukii, "le filet est le must"
Après la signature officielle de l’intégration de la Serail (Rhône) au centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), le directeur général délégué Ludovic Guinard a exprimé les besoins de financements pour lutter contre la Drosophila suzukii qui ravage la filière cerise.
Quelles préconisations donnez-vous aux producteurs de cerises en matière de protection contre la Drosophila suzukii ?
Ludovic Guinard : « Le filet est le must, mais il coûte 30 000 à 35 000 € l’hectare. À la fin de l’année, nous pourrons sortir des résultats concernant le traitement à l’argile. Nous travaillons actuellement sur le nettoyage du dépôt avec de l’acide citrique, qui nécessite néanmoins une réglementation. Nous avons également testé différentes solutions phytosanitaires existantes. Nous en communiquerons les références à la fin de l’année, après un an d’essai. »
La piste de l’insecte stérile a-t-elle été abandonnée ?
L.G. : « Des essais dans un tunnel de fraisiers ont donné des résultats exceptionnels, mais il faut dorénavant passer à l’échelle de la parcelle et produire une quantité importante de Drosophila suzukii. Le programme qui le permettrait coûte 11 millions d’euros. Cela fait deux ans que nous l’évoquons, mais que nous n’avons pas les financements. »
Si ce financement venait à aboutir, que permettrait-il ?
L.G. : « Il permettrait de produire davantage de Drosophila suzukii, de différencier les mâles et les femelles, puis de les stériliser par rayons X et de les transporter sur le terrain. Tout cela nécessite des infrastructures. Nous espérons que les moyens seront annoncés par le ministère, car cette espèce commence à attaquer également les abricots. »
Propos recueillis par Léa Rochon
La Drosophila suzukii est apparue en France en 2009
Drosophila suzukii, aussi appelée « drosophile du cerisier », est une mouche originaire d’Asie du Sud-Est. Elle a été décrite pour la première fois en 1931 au Japon. Ses fortes capacités d’adaptation et de dispersion géographique lui ont permis d’infester progressivement les continents asiatique, américain et européen. En Europe, les premières détections ont été signalées en octobre 2008 en Espagne (Catalogne), puis en septembre 2009 en Italie et dans le Sud-Est de la France. Elle s’attaque à tous les fruits à chair tendre (baies, cerises, prunes, raisins...), alors même que ceux-ci ne sont pas encore mûrs. Des attaques sur fraises, qui est un des fruits les plus attractifs, ont été recensées en 2010 dans les Alpes Maritimes. Aujourd’hui, c’est une grande partie de la moitié Sud de la France qui est concernée par ce nouveau ravageur. En 2011, les premiers individus dans le vignoble du Sud-Ouest ont été signalés, sans dégâts à la récolte. Puis en 2013, cette espèce a été observée effectuant son cycle complet au vignoble.
