CONFINEMENT
Les producteurs de fromages de chèvre sont à bout de souffle

Alison Pelotier
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CONFINEMENT / Qu’ils soient fermiers ou qu’ils livrent en laiterie, les producteurs de fromages de chèvre AOP ou IGP affrontent chaque jour de travail dans le chaos et l’incertitude d’une crise sanitaire irréelle.

Les producteurs de fromages de chèvre sont à bout de souffle
Les chutes des ventes de picodon se situent entre 40 % et 60 % selon les opérateurs.

Il n’aurait jamais cru vivre un cauchemar pareil. Mi-mars, Fabien1 venait tout juste de s’installer quand « ce foutu virus » l’a contraint à réorganiser sa production. Installé avec son frère en nuciculture et vaches allaitantes à Châtillon-Saint-Jean (Drôme), il s’est lancé mi-février dans la production de picodon AOP. « Nous avons investi près de 500 000 € entre la fromagerie et le bâtiment où nous accueillons un troupeau de 400 chèvres. Aujourd’hui, nous jetons plus de 1 000 litres de lait par jour. Si ça ne redémarre pas vite, ce n’est pas compliqué, on ne passera pas l’année ! » explique-t-il, amer. Alors qu’il commercialise en temps normal sa production fermière via trois grossistes, il a dû trouver des alternatives. «Nous travaillons un peu avec les grandes surfaces qui essaient de jouer le jeu. Pour la suite, nous avons contacté des centrales d’achat, allons proposer des produits frais aux collectivités. Nous en avons contacté plusieurs, nous espérons avoir des réponses positives très vite », ajoute Fabien.

Sauver la production de Picodon


Alors que la production redémarre lentement, les producteurs de picodon sont loin d’oublier les premières semaines de crise. Les chutes des ventes se situent entre 40 % et 60% selon les opérateurs. « Les laiteries ont tout de suite demandé de maîtriser la production, en mettant en place la monotraite, en baissant les quantités de concentrés et en laissant les chevreaux sous les mères », indique Karine Mourier-Duvignaud, présidente de l’ODG picodon. Une partie des producteurs a reporté leur production sur des fromages à pâte pressée comme les tommes, a opté pour la mise sous vide et a entrecoupé les phases d’affinage du fromage par des périodes plus froides pour une meilleure conservation. « À un moment donné, il va falloir les sortir des caves. Quelles seront leurs qualités organoleptiques ? Comment pourra-t-on les commercialiser ? Si la situation ne se débloque pas, on va droit dans le mur », s’inquiète la productrice de picodon. « Les deux premières semaines, les GMS ne prenaient plus de fromages. La troisième semaine, les commandes ont repris comme avant. On ne m’a pas demandé de baisser mes prix mais de nouveaux producteurs sont entrés dans les rayons pour faire face à la crise et quand je vois le prix de certains picodons en rayon, j’ai froid dans le dos... Je ne voudrais pas que cette situation tire toute la filière vers le bas. »

Il y a malgré tout des opérateurs qui ont tiré leur épingle du jeu. Sur les 40 interrogés le 15 avril par l’ODG, six ont augmenté de 10 à 50 % leur chiffre sur la période. C’est le cas de certains magasins de producteurs, points de vente collectifs et Amap. Certains fermiers ont mis en place des distributions de paniers, des points de retrait de commandes exceptionnels. En Drôme et Ardèche, les marchés de village ont connu des pertes de 20 à 30 %, alors que la saison touristique commence à se préparer. « Nous allons essayer d’organiser des micromarchés sur plusieurs points et sur plusieurs jours de la semaine pour proposer une offre à nos touristes. Nous comptons sur la collaboration des municipalités. »

La rigotte de condrieu réorientée vers le conventionnel


La rigotte de condrieu a, elle, été réorientée en bûche de chèvre pasteurisée et en chèvre frais du Pilat. « Nous estimons des pertes de 25 à 50 % en fonction des exploitations. L’industrie a été un peu moins touchée que les fermiers. Nous aurons des chiffres plus précis au mois de juin », affirme Claude Boucher, président de l’ODG. Les éleveurs qui livrent leur production à la laiterie Guilloteau n’ont pas connu de rupture de collecte. « Sur le premier mois, nous constatons une augmentation des volumes de 15 % en grandes surfaces mais une perte de 30 % en RHF. Aujourd’hui, les producteurs continuent de toucher leur prime rigotte et AOP mais il risque sans doute d’y avoir des négociations », estime-t-il.


Autre problématique : la réorganisation des circuits habituels demande une énergie folle aux producteurs. « Entre la prise de commande, leur préparation, la mise en place de sites de vente, les producteurs sont en train de s’épuiser... Alors que nous avions réduit un maximum nos emballages, nous sommes en train de basculer dans l’autre sens avec une consommation de plastique qui est en train de s’enflammer pour répondre aux exigences sanitaires. C’est un coût qui impactera les finances des fermes. »

Le chevrotin : inquiétude pour la saison touristique


Du côté du chevrotin, certains producteurs ont reporté leur production sur les tommes et les raclettes. Ils affirment avoir encore deux à trois semaines de stock dans leurs caves. Lors de la fermeture des marchés, ces derniers ont fait beaucoup de communication sur les réseaux sociaux en appelant les consommateurs à acheter dans les fermes. « Si cette crise continue, nous serons obligés de passer en monotraite en plein pic de production. Dans ce cas, on risque un retour de bâton dans les prochains mois », affirme le président de l’ODG Denis Ballet-Baz. Si pour le moment « le marché a l’air de continuer », avec des chiffres en augmentation du côté de la vente directe, les inquiétudes et incertitudes restent vives vis-à-vis du bon déroulement de la saison touristique à venir.

Alison Pelotier

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