Méconnue, la cuniculture peine à séduire la nouvelle génération. L'élevage de lapins présente pourtant de nombreux avantages en termes de prix, de foncier et de conditions de travail.

La cuniculture en mal de reconnaissance
Alors qu'on compte moins de 10 cuniculteurs en Ardèche, le groupement cherche à installer de nouveaux candidats.

« Un peu d’expérience, quelques essais et beaucoup de rigueur. » C’est ainsi que Julien Morel résume son travail. Cuniculteur à Vernoux-en-Vivarais, il dispose de 320 mères, dont les lapereaux sont engraissés jusqu'à atteindre 2,5 kg. Toutes les 6 semaines, les lapins sont collectés par l'entreprise Ribot pour être abattus et transformés dans le Vaucluse.

Installé il y a 16 ans, cet éleveur a peu à peu développé une technique pointue, essentielle en cuniculture. « Aujourd'hui, j'ai une moyenne de 20 kg vendus par insémination, contre moins de 16 kg à mon installation... J'étais bien moins productif », illustre Julien Morel. « L'alimentation est aussi importante, continue-t-il. J'utilise moins de 3 kg d'aliments pour produire 1 kg de lapin, alors que la moyenne est à 3,2 kg. » Moins d'échecs de reproduction, un meilleur engraissement, un travail autour du microbisme pour limiter les maladies (voir encadré)... Des performances qui, mises bout à bout, permettent de limiter les coûts. « En élevage cunicole, le niveau d'intrants est élevé : environ 70 % des besoins de l'élevage », précise encore Julien Morel.

Pas de formation, ni de données

Le lapin est une production rentable, d'après l'éleveur vernoussain. À condition de pouvoir acquérir les connaissances et la rigueur nécessaires... Car dans les écoles, l'enseignement de la cuniculture se fait rare. À quelques kilomètres de l'élevage de Julien Morel, à Vernoux-en-Vivarais, une autre cunicultrice s'est récemment installée. Nadège Villard a appris les rudiments du métier auprès des professionnels du secteur. « J'ai arrêté mon BPREA en cours de route, on ne parlait que de volailles », regrette la jeune éleveuse.

Même constat lorsqu'elle a voulu s'installer : « Que ce soient les formations, les structures agricoles type chambre, les banques... Personne n'a de données sur l'élevage de lapins », déplore-t-elle. Privés de soutien, les rares jeunes qui tentent de s'installer en cuniculture doivent se battre pour faire valoir leur projet. « Les nouveaux éleveurs mettent 5 ou 6 ans à s'installer... Si on n'est pas capable d'aller plus vite et d'apporter un accompagnement, il n'y aura pas d'installation en cuniculture », alerte Francis Giraud, cuniculteur depuis plus de 25 ans à Saint-Julien-du-Gua et ancien président de la SICA Lapalliance (voir encadré).

800 éleveurs en France

Un manque d'informations paradoxal alors que la France est le 4e producteur mondial de lapins de chair. Pour Julien Morel, ces lacunes s'expliquent notamment par le faible poids de la filière : « S'il n’y a plus de lapins en grande distribution, personne ne va s'émouvoir », assure-t-il. D'autant que les cuniculteurs ne représentent qu'une faible part du paysage agricole français : dans le pays, on compte 800 éleveurs professionnels (à titre de comparaison, il y a, en France, plus de 14 000 élevages de volailles). Une faible représentation encore accentuée dans des régions comme Auvergne Rhône-Alpes, puisque la majorité des élevages se trouvent dans le grand ouest du pays (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie).

Si la cuniculture se pratiquait traditionnellement en Ardèche, les élevages se sont progressivement rationalisés à partir des années 1980, avec l'apparition de nouvelles techniques telles que l'insémination et la conduite d’élevage en bandes. « Les anciens n'avaient que 30 ou 40 mères pour des compléments de revenus », se remémore Francis Giraud. Quand il s'est installé à Saint-Julien-du-Gua en 1997, l'éleveur qui manquait de foncier a fait le choix de la cuniculture avec 200 lapines. « Le camion de collecte ne passe plus que chez un ou deux éleveurs, ça pose moins de soucis sanitaire », ajoute Francis Giraud. Une rationalisation qui s'est encore renforcée en 2009 avec la hausse du prix des aliments, d'après Julien Morel : « Les cuniculteurs qui n'avaient que 150 mères n'ont pas pu s'en sortir », analyse-t-il, avant de poursuivre : « En 2006, quand j'ai commencé, il y avait entre 10 et 15 cuniculteurs en Ardèche. Aujourd'hui, on est peut-être six ou sept. » Loin derrière les mastodontes des Pays de la Loire, les cheptels rhônalpins comptent en moyenne 450 mères et offrent aux éleveurs une certaine stabilité financière.

Un animal sensible à son environnement

« Je ne m'installe pas en ayant peur de m'écrouler demain, assure Nadège Villard. Par contre, il ne faut pas compter ses heures ! » À 28 ans, la jeune femme est seule sur son exploitation cunicole de 600 mères. Toutes les six semaines, les abattoirs Ribot viennent collecter plus de 3 000 lapins de 70 jours sur son exploitation. Avec des cours stables (autour de 2,5 € le kg) et des prix de vente indexés au prix de l'aliment (indice Itavi), la rémunération est pratiquement assurée. La conduite en bande permet aussi de planifier le travail en amont.

La difficulté du métier est toutefois l'aspect sanitaire. « Je ne confierais mon élevage à personne, c'est trop risqué », témoigne Nadège Villard. « Il faut être très présent, observer minutieusement... Si un lapin ne va pas bien, tout peut basculer du jour au lendemain, il faut réagir rapidement. » Entre leur sensibilité au stress qui peut rapidement affecter le système immunitaire du lapin et les virus, particulièrement mortel, qui le touche, l'élevage cunicole demande une vigilance sanitaire accrue et de strictes mesures de biosécurité. Pour limiter les risques d'introduction de maladies, certains cuniculteurs décident de restreindre l'accès à la zone d'élevage. Une contrainte supplémentaire1 pour cette filière qui peine à faire connaître ses pratiques, au risque d'en payer le prix fort : une production qui a tendance à baisser plus vite que la consommation.

Pauline De Deus

1La contrainte sanitaire est réelle pour tous les élevages : volailles avec la grippe aviaire et salmonelle, porc avec la peste porcine, ruminant avec différente maladies virales, etc.
GROUPEMENT

Lapalliance, mobilisé pour le développement de la filière

En France, la cuniculture est organisée autour de groupements de producteurs qui se chargent de la vente et apportent un soutien technique à l'éleveur. En Drôme et en Ardèche, il s'agit notamment de Lapalliance. Un groupement de producteurs qui milite également pour le développement de la filière.

« On mène un gros travail de communication, dans les écoles, chambres d'agriculture, avec les partenaires », explique Chloé Borgat, animatrice à Lapalliance. À l'échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les éleveurs de Lapalliance produisent environ 2500 tonnes de lapin par an (plus de 3000 avec l'Aveyron, la Bourgogne Franche-Comté et la Creuse). Un volume qui pourrait encore augmenter, à condition d'installer de nouveaux éleveurs. « On est à la recherche de plus de production locale, confirme Chloé Borgat. Sans parler des éleveurs qui vont arrêter dans les prochaines années et qu'il faudra remplacer... » D'après le ministère de l'Agriculture, 40 % des éleveurs pourraient partir à la retraite d'ici 5 ans. « La région a la chance d’avoir des outils spécialisé dans cette production », note l'animatrice. « Le groupement Lapalliance voudrait la développer ou au moins la maintenir pour répondre aux besoins des partenaires ! » L'enjeu pour la filière est donc de communiquer sur l'attractivité du métier pour installer davantage et inverser la courbe de la production.

La Sica Lapalliance est basée à Valence. Pour la contacter : 06 12 38 15 48.

Plus de cage à partir de 2027

Qu'ils soient « logés au grand air » ou sous tunnel, les lapins sont le plus souvent élevés en cage simple ou avec mezzanine. Une pratique qui devrait être proscrite à partir de 2027, selon des décisions des institutions européennes, notamment portées par des initiatives citoyennes. D'ici la fin de l'année, la commission européenne devrait présenter une proposition législative dans ce sens. Du côté de la profession cunicole, des expérimentations sont déjà en cours notamment autour de l'élevage de lapins en parcs. « Nous travaillons beaucoup sur ce sujet pour l'engraissement. Un éleveur du groupement est d'ailleurs déjà passé sur ce système de parcs », assure Chloé Borgat, animatrice à Lapalliance. Comme le souligne le CGAAER (Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux) dans un rapport, cette probable interdiction des cages « est conforme aux attentes de la société mais coûteuse et difficile à mettre en place ». La commission précise que ces coûts devront être partagés entre les différents acteurs de la filière et soutenus par des financements européens. 

Les antibiotiques, pas forcément automatiques

Animal à la santé capricieuse, le lapin est aussi sensible au niveau digestif. « C'est herbivore monogastrique dont la digestion est en partie enzymatique, explique Julien Morel, éleveur à Vernoux-en-Vivarais. Donc le microbisme est primordial ! » Depuis plusieurs années, Julien Morel travaille sur l'environnement de l'élevage pour installer une flore microbienne favorable à la digestion des lapins. « Si on a une flore microbienne favorable, on peut se passer des antibiotiques sans soucis mais ça suppose un travail d'au moins 4 ou 5 ans », détaille-t-il. Le défi est donc d'installer ce cercle vertueux afin de limiter les maladies, les traitements et, in fine, de gagner en sérénité.