ARBORICULTURE
Des cerises déversées, pour faire réagir

Pauline De Deus
-

Jeudi 6 juillet, à Tournon-sur-Rhône, une dizaine d’arboriculteurs ont déposé des cerises devant la sous-préfecture de l’Ardèche. 

Des cerises déversées, pour faire réagir
Deux tonnes de cerises piquées par les mouches ont été déversées devant la sous-préfecture de l'Ardèche, jeudi 6 juillet.

Dès 6 heures du matin, une dizaine d’arboriculteurs étaient réunis sur le quai Farconnet à Tournon-sur-Rhône avec des caisses et remorques remplies de cerises. En ce jeudi 6 juillet, les agriculteurs se sont déplacés pour manifester leur colère. Les fruits qu’ils transportent ne sont pas destinés à la consommation… Récoltés par les saisonniers, ils ont été triés, puis écartés. Piquées par les mouches Rhagoletis Cerasi et Drosophila Suzukii, ces cerises sont devenues invendables. Ces ravageurs - contre lesquels les arboriculteurs n’ont pas eu de moyen de lutte efficace cette année, suite à la non-homologation du Phosmet - sont désormais dans tous les vergers. D’après les premières estimations des producteurs, les potentiels de production auraient été imputés d’au moins 30 %.

Deux tonnes de cerises

À 6h30, le cortège se met en marche en direction de la sous-préfecture. Dix minutes plus tard, ce sont deux tonnes de fruits qui sont déversées devant l’administration, sur la départementale 86, sous le regard interloqué des passants. Pour les quelques riverains qui n’auraient pas entendu parler des difficultés des producteurs de cerises, une banderole résumait la situation : « Ne nous cassez pas les cerises. Laissez-nous travailler ! » Six mois après la manifestation qui avait réuni plus de 200 agriculteurs devant cette même sous-préfecture, les revendications n’ont pas changé : les producteurs attendent des solutions. Sans Phosmet, les rendements baissent et les coûts de production augmentent. Une situation intenable pour des arboriculteurs ardéchois dont les vergers sont souvent une source de revenu essentielle pour vivre, et parfois même pour maintenir d’autres activités agricoles, moins rentables, telles que l’élevage.

Pas d’interdiction sans solution

Dans les autres départements producteurs de cerises, tels que le Vaucluse, les constats sont les mêmes. À Avignon, des arboriculteurs avaient, eux aussi, déversé des cerises devant la préfecture, lundi 3 juillet. Comme en Ardèche, ils demandent que des solutions efficaces soient apportées en attendant une éventuelle alternative (telle que l’insecte stérile). Dans un communiqué, la FDSEA de l’Ardèche a également revendiqué la nécessité d’obtenir davantage de fonds pour la recherche dans la lutte contre la Drosophila Suzukii, le besoin urgent d’une indemnisation sans franchise, ainsi qu’une neutralisation des pertes dans les moyennes olympiques. Sans cela, la filière cerise risque de connaître une crise sans précédent, tirant dans sa chute les territoires qui en dépendent.

P.D.-D.

« Il faut que les producteurs aient des perspectives »
Benoît Nodin, secrétaire général de la FDSEA 07.
LA PAROLE DE LA FDSEA

« Il faut que les producteurs aient des perspectives »

La FDSEA de l’Ardèche est, avec les JA, à l’initiative de cette nouvelle action des producteurs de cerises qui a eu lieu jeudi 6 juillet, à Tournon-sur-Rhône. Le syndicat détaille ses demandes et ses attentes.

Ce matin, deux tonnes de cerises ont été déversées devant la sous-préfecture de l’Ardèche. Cette action n’est pas la première… Quel est l’objectif de cette nouvelle mobilisation ?

Benoît Nodin, secrétaire général de la FDSEA 07 : « Oui, ça fait bientôt un an qu’on alerte le gouvernement sur les difficultés qu’on va avoir. On a eu des propositions avec notamment des dérogations sur un produit pour traiter un peu plus, le problème c’est qu’il n’est pas suffisamment efficace. Malgré tout ce qu’on met en place pour lutter contre la Drosophila Suzukii (piégeage, répulsifs, etc.), tous les témoignages des producteurs concordent : on est envahi par la Drosophila et on a un nouveau problème avec la mouche de la cerise qui revient parce qu’il n’y a plus de produits efficaces. Les agriculteurs s’épuisent… On en arrive au point de se dire que la tronçonneuse est la solution la plus efficace. Aujourd’hui, la FDSEA alerte le gouvernement : il faut que les producteurs aient des perspectives rapidement ! On a besoin de savoir comment les pertes vont être absorbées, et également avoir des solutions pour l’année prochaine, parce qu’on ne pourra pas faire trois ans comme ça. »

Alors que la saison des cerises va bientôt se terminer, le processus d’indemnisation est-il, à votre connaissance, déjà dans les tuyaux des services de l’État ?

B.N. : « Aujourd’hui, on sait qu’il y aura des visites de terrain de la DDT pour évaluer les dégâts sur les différentes exploitations. Certains producteurs commencent à faire des déclarations, mais on a eu tellement de déboires par le passé sur ce genre de situation qu’on ne sait pas si toutes les exploitations qui ont des pertes vont effectivement jouer le jeu. Il faut que l’État apporte une réponse simple, efficace et percutante pour donner un signal fort aux producteurs et dire : "On vous a mis en difficulté, on réagit et on vous accompagne". »

La question de l’homologation du Phosmet se joue au niveau européen. Dans ce contexte, qu’attendez-vous de la France ?

B.N. : « Il faut savoir prendre ses responsabilités. La France a toujours voulu être plus propre que les autres, plus avant-gardiste… Mais il est arrivé que d’autres pays fassent machine arrière sur ce type de sujet. On se revendique comme un pays producteur de fruits alors il faut avoir le courage de ce qu’on est, de nos ambitions et savoir défendre nos productions. Certes, ce n’est peut-être pas facile au niveau européen, mais on a peut-être aussi un gouvernement et des politiques qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Est-ce qu’on veut de la cerise produite en France dans les années à venir ? Si oui, donnez-nous les moyens de le faire ! »

Quelles réactions politiques ?

Dans les départements producteurs de cerises, certains élus locaux se sont aussi mobilisés pour alerter sur les difficultés de la filière. Mardi 27 juin, des députés de l’Ardèche, du Vaucluse et du Rhône (Laurence Heydel-Grillière, Jean-François Lovisolo et Jean-Luc Fugit) ont notamment interpellé le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau : « La situation nécessite la mobilisation rapide de la solidarité nationale pour assurer la pérennité de cette filière. […] Il convient de mobiliser des ressources considérables pour véritablement accélérer la recherche et les moyens de lutte contre la Drosophila Suzukii et d’autres ravageurs qui apparaissent ou réapparaissent ».

Le gouvernement s'engage

Jeudi 6 juillet, par le biais d'un communiqué publié dans l'après-midi, le ministère de l'Agriculture s'est engagé à être « aux côtés des producteurs pour les aider à surmonter cette crise ». Il est précisé que les soutiens pour cette saison sont actuellement à l'étude et des visites sont effectuées sur le terrain pour documenter les pertes. Le ministère a également promis une stratégie à long terme  « pour développer collectivement des alternatives de protection des cultures et améliorer la résilience de la production face au changement climatique ». Le communiqué précise qu'un plan d'action pluriannuel de recherche et d'innovation est d'ailleurs en cours d'élaboration entre acteurs de la filière cerise et recherche agronomique.

Lundi 3 juillet, aux aurores, les producteurs du Vaucluse avaient eux-aussi déversés une tonne de cerises devant la préfecture à Avignon. Crédit : FDSEA84