TERRITOIRE
Entre nature et culture, la ligne de partage des eaux se dévoile

La ligne de partage des eaux fraye son chemin à travers les Monts d’Ardèche sur 100 km. Sous nos pieds, s’écoulent en secret les sources se dirigeant vers la mer Méditerranée et celles cheminant vers l’océan Atlantique. Cette limite géologique, invisible à l’œil nu, se découvre à travers diverses œuvres sur son tracé.

Entre nature et culture, la ligne de partage des eaux se dévoile
Œuvre imposante, l'Ouroboros garde l'entrée de la tourbière de la verrerie. Crédit photo AAA MMartin

Inspiré du label Géoparc de Haute-Provence, l’Ardèche à travers le PNR a obtenu en 2014 cette même étiquette délivrée par l’UNESCO, marqueur de reconnaissance d’un patrimoine géologique indéniable. La ligne de partage des eaux a été choisie pour accueillir, le long de son tracé en Ardèche, 8 œuvres. En s’associant, l’UNESCO Géoparc de Haute-Provence et l’UNESCO Géoparc des Monts d’Ardèche font le pari d’offrir une nouveauté culturelle et touristique insolite : l’art dans la nature.

« Souligner la ligne invisible avec des œuvres d’art »

La ligne de partage des eaux n’a pas été choisie par hasard afin d'accueillir les œuvres. Patrimoine géologique unique en France et fascinant, les œuvres sont un hommage. « En soulignant la ligne invisible avec des œuvres d’art », explique Vanessa Nicod responsable de la communication pour le PNR, « l’objectif est d’allier l’art dans la nature et le patrimoine géologique du territoire afin d’apporter une richesse artistique qui manquait, mais également d’attirer un public plus large ». Un public friand d’œuvres contemporaines. Un itinéraire conçu comme un véritable musée dans la nature. La fréquentation sur le parcours est en moyenne de « 100 000 visiteurs par an, dont 30 % d’Ardéchois » note Vanessa Nicod.

Frédérique Gramayze, en charge de la maison de tourisme de Sainte Eulalie, détaille : « Nous avons des visiteurs des départements limitrophes ou de plus loin et davantage d’Ardéchois. Le covid a favorisé le tourisme de proximité. Par ailleurs, récemment, nous avons pu noter l’arrivée de touristes anglais ».

Un dialogue avec les habitants

Le parcours a été réalisé avec l’aval des habitants. « Il était indispensable, que les habitants adhèrent au projet », affirme Vanessa Nicod. « Ces œuvres sont un dialogue avec le paysage, mais aussi avec la population. Toutes les œuvres d’art ont été réalisées en lien avec la médiation locale pour créer une connexion. Les lieux choisis avec l’artiste sont publics ou communaux, et nous avons favoriser les rencontres entre l’artiste et les résidents. »

Cette ligne de partage des eaux unique en France, frontière imaginaire, relie les Hommes entre eux à travers le cycle de l’eau. Les eaux de pluies et les sources s’écoulent dans des directions différentes selon le bassin versant. L’Ardèche en est la jonction, entre son versant méditerranéen tourmenté aux crêtes escarpées, et le plateau du Massif Central où l’eau chemine jusqu’à Nantes. Pour matérialiser cette ligne imaginaire, l’artiste Gilles Clément, avec l’aide de l’atelier de paysage « Il y a », a imaginé un dispositif de perception jouant sur l’optique. Implantées sur six sites en belvédère, les Mires proposent une expérience d’immersion dans le paysage, en pointant les crêtes pour signifier le parcours de l’eau.

L’ouroboros, nouvelle Œuvre sur le parcours

Non loin de Burzet, sur le GR7, la dernière œuvre contemporaine en date, inaugurée le 10 juin, est celle d’Henrique Oliveira, artiste brésilien. Ouroboros, créature hybride, mythologique souvent représentée avec une tête de serpent, représente ici le cycle infini de l’eau.

L’Ouroboros prend corps dans son environnement et fait office de porte d’entrée vers la tourbière de la verrerie. Site magique, muni d’yeux et réservoir d’une biodiversité unique. Derrière l’œuvre, celle-ci se dévoile. Ses trous béants, tournés vers le ciel, ne le reflète pourtant pas. Olivier Mathis, « passeur »1 sur le parcours et guide de montagne, sonde la profondeur de la tourbière à l’aide d’un bâton. Autour de l’œil, un enchevêtrement de sphaignes fait écho à l’œuvre, qui veille juste à côté. Plante indispensable à la survie de la tourbière, la sphaigne retient le sol et joue le rôle de chef d’orchestre pour la diversité de plantes, qui règnent dans cette zone humide. « La sphaigne pompe de l’eau pour laisser la place à une végétation variée », expose Olivier Mathis. À l’instar des orchidées et plantes carnivores qui trouvent sur un terrain acide assez d’eau et de soleil pour s’y développer. « Si l’humain l’utilise trop ou s’il y a plus d'évaporation que d’apport en eau, la tourbière s’assèche », prévient le passeur. L’art et la nature fonctionnent en vase communiquant. L’œuvre de la nature ou de l’humain que le visiteur est venu contempler, permet un éveil des consciences sur la fragilité des lieux. Le parcours offre au visiteur un délicat équilibre entre l’art et la nature.

1 Les passeurs du partage des eaux sont de fins connaisseurs de la montagne ardéchoise, ils proposent une offre de médiation originale et sur mesure. Source : Geoparc UNESCO et PNR.

Marine Martin

Des œuvres à ciel ouvert
La Tour à eau de Gilles Clément. Crédit photo AAA MMartin
ART

Des œuvres à ciel ouvert

Si le projet de création d’œuvres débute en 2017, il comprend désormais 8 œuvres disséminées le long de la ligne de partage des eaux, dialoguant avec la nature environnante.

Sur le site Classée du Mezenc, le bâtiment de la Chartreuse de Bonnefoy accueille sur son flanc une œuvre de l’artiste Stéphane Thibet. Un jeu de transparence à l’aide de sept grands miroirs sérigraphiés, légèrement inclinés selon des angles différents et qui reflètent le paysage.

Le Mont gerbier de Jonc, issu d’un volcanisme ancien, est le point de départ de la Loire. Olivier Leroi a réalisé un film dont l’acteur principal est le fleuve. Une œuvre en trois parties axée sur La Loire et son parcours. On y voit la Loire s’aventurer vers la Méditerranée, avant de bifurquer pour s’engager vers la voie de l’Ocean1.

La Tour à Eau de Gilles Clément, construite en phonolites, la roche volcanique, présente à Gerbier, s’érige vers le ciel comme une construction inédite dans ce coin du monde. Éveillant l’imaginaire du visiteur. Utilisée dans les régions désertiques, il s’agit d’un piège à eau basé sur la condensation de la vapeur d’eau des nuages. Ici, l’élément se condense sur ses parois extérieures pour ensuite être dirigée vers le creux de la tour, puis orientée d’une part vers le Rhône et de l’autre vers la Méditerranée.

Un cercle et mille fragments est l’œuvre réalisée en feuilles d’or par l’artiste italien Felice Varini, sur les vestiges de l’abbaye cistercienne de Mazan, datant du XIIe siècle. Un jeu d’illusion d’optique où le visiteur est partie prenante de l’expérience et où la poésie de l’impermanence des choses prend tout son sens.

Le phare réalisé par l’artiste Gloria Friedmann, surplombe la vallée de la Borne d’un bleu commun à la mer Méditerranée et à l’Océan. Il offre en son sein une bibliothèque, permettant au visiteur de découvrir la biodiversité du territoire, et lui offrant une vue exceptionnelle sur les bassins versants.

Un tableau poétique du territoire représentant une carte de la Loire et ses affluents dessinés sur le sol de l’abbaye de Notre Dames des neiges s’offre à la vue des visiteurs. Créé par l’artiste japonais Kôichi Kurita, le tableau est agrémenté de coupelles renfermant des échantillons de terre et marque les lieux où ils ont été prélevés, représentant la diversité de notre monde.

À Saint-Laurent-les-Bains, village symbolisant la fin du parcours de la ligne de partage des eaux en Ardèche, avant qu’elle ne passe en Lozère, se dresse une grotte de cristal au flanc d’un rocher sur le versant méditerranéen. Cette grotte, réalisée par Elen Evans et Heiko Hansen, est inspirée de l’activité thermale du village et de la mine de fluorite enfouie sous le village.

1. La Loire bifurque à Usclades-et-Rieutord, soit, littéralement en Occitan : riu et tòrt, « rivière tordue ».

Carte parcours artistique du Partage des Eaux

Carte parcours artistique du Partage des Eaux
Carte du site www.lepartagedeseaux.fr
Œil de la tourbière. Crédit photo AAA MMartin
La tourbière s'étale derrière l'Ouroboros. Crédit photo AAA MMartin
Les vestiges de l'abbaye de Mazan servent de support à l’œuvre de Felice Varini, "un cercle et 1000 fragments". Crédit photo AAA MMartin
Dernière œuvre en date, réalisée à partir de bois recyclé qui englobe une structure en papier mâché. Crédit photo AAA MMartin