INCENDIES
Autorités et secours se préparent à une nouvelle saison difficile

plus de 65 000 ha de forêts, broussailles et de champs ont été touchés par les incendies. La France est le quatrième pays européen le plus boisé. Ce qui en fait un territoire vulnérable au risque d’incendies de végétaux, qu’il s’agisse de forêts, de prairies ou de friches. Les départements du Jura et de l’Ardèche en ont particulièrement fait les frais. Zoom sur les dispositifs mis en place pour limiter la propagation du feu lors de la saison à venir.

Autorités et secours se préparent à une nouvelle saison difficile
L’été dernier, plus de 65 000 ha de forêts, broussailles et de champs ont été touchés par les incendies. ©Pixabay

Du bassin d’Arcachon à la Normandie, en passant par le Jura et l’Ardèche, les images de flammes dévastant la nature ont marqué tous les esprits l’été dernier. L’Ardèche a connu un bien triste record. Ce territoire composé à 67 % de forêts a vu 110 feux se déclarer et 2 240 ha de terrains brûlés dans le sud du département. La sécheresse historique de ces territoires a favorisé l’expansion des feux sur la pinède, la broussaille et la garrigue, identifiées comme des essences vulnérables. Sur place, plus de 500 sapeurs-pompiers venant de nombreux départements du Sud-Est de la France avaient été déployés pour circonscrire les feux. Des moyens conséquents, mais loin d’être suffisants.

2 600 sapeurs-pompiers prévus en Ardèche

« Pour la sécurité civile, le gros enjeu est la préparation de la saison des feux de forêts, a déclaré ce lundi 22 mai le préfet de l’Ardèche, Thierry Devimeux. Le stress hydrique est bien là, les niveaux de nos rivières sont bas, la réserve en eau est faible et le risque de feux de forêt est important. Nous nous préparons pour une saison difficile. » Le dispositif départemental de prévention et de lutte contre les incendies a ainsi été renforcé dès le week-end de Pâques et jusqu’en septembre. Dorénavant, 2 600 sapeurs-pompiers volontaires peuvent être déployés, la tour de guet de la Tour de Brison qui permet de détecter les départs de feux, ainsi que 10 caméras sont également prévues. Depuis 2007, le département s’est doté d’une cellule d’information et de contrôle du débroussaillage obligatoire. Son objectif ? Sensibiliser une trentaine de communes par an et accompagner les élus dans l’application de la réglementation. Autre mesure forte, déjà instaurée l’année dernière : les contrôles des zones de bivouac des gorges de l’Ardèche seront maintenus afin de faire respecter les arrêtés d’interdiction de feux et de consommation d’alcool. Enfin, la préfecture a récemment inauguré un projet expérimental de récupération d’eau de pluie d’une capacité de 120 m² à la caserne de Saint-Félicien. « Pour être indépendant et sécuriser les feux de forêt, nous avons besoin de revenir à cette méthode, c’est une piste sur laquelle nous travaillons dans le cadre des Assises de l’eau », a détaillé le préfet, avant de confier qu’une autre piste de réflexion serait d’utiliser des réserves d’eau privées agricoles.

Agriculteurs et les secours jurassiens coopèrent

L’eau n’est pas l’unique ressource qui puisse servir aux secours. L’été dernier, plus de 1 050 ha ont brûlé sur trois feux distincts à Cernon, Cornod et Montlainsia, dans le Jura. Au total, entre le 9 et le 14 août 2022, 39 départs de feu ont été recensés. Une première pour ce département très boisé. Dès le début, les soldats du feu ont été épaulés par les agriculteurs venus nombreux avec leur matériel. Parmi eux, Kevin Gros, éleveur à Bellecombe. « Nous avons été prévenus par un copain qui a lancé un appel pour une tonne à eau équipée d’un canon », explique-t-il. Installé en Gaec familial, Kevin et son frère se sont rendus sur les incendies, tandis que son père et son oncle s’occupaient de la traite des vaches. Au total, 180 agriculteurs se sont mobilisés sur les trois incendies. « Ils sont arrivés spontanément et ont inondé en prévention pour que les sapeurs-pompiers puissent attaquer le feu », a relaté le préfet du Jura, Serge Castel. D’autres agriculteurs ont pioché dans leur réserve d’eau pour remplir directement les bassines des secours. Soit un gain de temps considérable. Cette mobilisation inédite a donné naissance à un groupe de travail entre la préfecture, les services de secours et les agriculteurs, afin d’intégrer au mieux ces derniers dans la chaîne opérationnelle. Le préfet l’a même assuré : chaque agriculteur mobilisé l’année dernière recevra une indemnisation de 1 000 €, en lien avec la chambre d’agriculture. Les services de l’État et les secouristes savent que le risque d’incendie sera élevé pour la saison à venir. « Le Jura est un territoire de forêts », rappelle Serge Castel. Ce dernier a donc fait intégrer le risque feux de forêt aux communes du département les plus vulnérables, ainsi qu’une cartographie des zones sensibles, bientôt prête à être diffusée. L’été dernier, quatre canadairs et deux hélicoptères bombardiers d’eau sont intervenus sur le département. De tels moyens aériens n’avaient encore jamais été déployés. Dix hélicoptères bombardiers d’eau privés basés ailleurs sur le territoire seront prêts à intervenir dès le mois de juin. De son côté, le SDIS sera doté de 1500 sapeurs-pompiers. Mais le préfet le concède : « Cela tient beaucoup sur les volontaires, il faut donc que les entreprises tolèrent que ces personnes s’absentent ». Quatre camions-citernes supplémentaires de 4 000 à 6 000 litres rejoindront la flotte déjà existante, portant à neuf le nombre de véhicules disponibles. « Mais il faut attaquer les feux qui se déclarent au plus tôt, a tenu à prévenir le colonel Jacquin. Nous devons avoir des moyens aériens plus tôt que l’année dernière, où ces derniers sont arrivés quarante heures après le début des incendies. » Le préfet a également précisé qu’il n’hésiterait pas à fermer l’accès aux massifs, en cas de danger pour les habitants et les touristes.

Léa Rochon et Sébastien Closa

Kevin Gros, éleveur à Bellecombe dans le Jura, a prêté main forte aux pompiers lors des incendies de l’été 2022. ©Jura agricole
Entretenir la forêt pour la protéger
(De gauche à droite) Jordan Caillon, entrepreneur à Gigny-sur-Suran, Gérard Napias, président de la FNEDT, Julien Fourtier, entrepreneur à Macornay et Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne Franche-Comté. ©Jura agricole
FNEDT

Entretenir la forêt pour la protéger

Quelques mois après les incendies de l’été 2022, la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires s’est rendue dans le Jura pour passer en revue les solutions envisageables afin de rendre la forêt plus résiliente face aux incendies. Élagage des arbres, taille des haies, obligation de débroussaillage, création de dessertes et de coupe-feu mais aussi replantation ont été évoqués.

Mille hectares ont brûlé dans le Jura, 300 ha dans les Vosges. Une ampleur rarement connue dans ces massifs. Les entreprises de travaux forestiers et agricoles étaient en première ligne aux côtés du SDIS, de la Défense de la forêt contre les incendies (DFCI), des maires et des agriculteurs pour accompagner la lutte sur le terrain. Gérard Napias, président de la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT), s’est rendu dans le Jura pour échanger avec des entrepreneurs et les forestiers locaux et évoquer les conséquences de ces incendies ainsi que les mesures de prévention à mettre en oeuvre pour qu’un tel sinistre ne se reproduise pas. Originaire des Landes, il connaît bien le sujet, car ce département a été particulièrement touché par les feux de forêt l’été dernier.

Création de voies d’accès

« La protection contre les incendies devrait être incluse dans les plans de sauvegarde communaux et des chemins d’accès doivent être créés, estime Gérard Napias. Surtout sur le deuxième plateau ou les terrains sont très accidentés avec beaucoup de dénivelés. » Pour Christian Bulle, président du syndicat régional des propriétaires de forêts privées, la création de dessertes est en cours à travers les projets d’ASA, mais leur mise en place est longue : sept ans en moyenne dans le Jura. L’entretien des forêts est primordial dans la lutte contre les flammes.

Gérard Napias a pris l’exemple de la Teste-de-Buch, près du bassin d’Arcachon, ravagée par les incendies en juillet. « Dans cette forêt, le législateur a interdit d’abattre des bois, y compris pour les propriétaires, dans le but de préserver la faune et la flore. Il n’y avait aucun chemin ni pare-feu, les pompiers ont eu énormément de mal pour y accéder. Mais ça a eu l’effet inverse : de nombreux animaux sont morts dans l’incendie, même des oiseaux désorientés par la fumée. »

Il regrette qu’aux yeux du grand public la nature doive rester sauvage : « Les entrepreneurs doivent expliquer à la société qu’il ne faut pas bannir les interventions humaines car elles servent aussi à protéger les écosystèmes ».

Mais les idées reçues sont tenaces. « Nous sommes régulièrement interpellés, parfois avec agressivité, lorsque nous débroussaillons ou taillons des haies », raconte Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne-Franche-Comté. Sur le terrain, les entrepreneurs des travaux agricoles et forestiers sont également confrontés à l’application des différentes réglementations, du code de l’environnement à la conditionnalité des aides Pac, dont les mesures n’ont pas été pensées pour la prévention des incendies (la taille et la coupe des arbres sont par exemple interdites du 1er avril au 31 juillet).

Une échelle pour le feu

Le président de la FNEDT cite l’exemple de la forêt des Landes : « Les lignes sont débroussaillées tous les cinq ans mais nous ne passons pas entre les arbres. Les pins les plus jeunes n’ont jamais été élagués pour des raisons économiques. Les flammes sautaient d’un arbre à l’autre. Ceux de 40 ans, qui autrefois étaient élagués, ont beaucoup mieux résisté ». Pour Christian Bulle, cette solution est difficilement applicable aux forêts jurassiennes en « futaie jardinée » ou les arbres de toutes tailles sont mélangés. « C’est vert partout, c’est une véritable échelle pour le feu », explique-t-il. Autre enjeu majeur face à la sécheresse : la replantation des forêts. La FNEDT appelle à une mobilisation rapide et totale des entreprises, de la filière forêt-bois, des centres de formation et des pouvoirs publics. Si cette replantation est mal gérée, l’industrie du bois pourrait manquer de matière première pendant plusieurs années. Après l’incendie de Maisod (Jura) en 2018, la régénération naturelle a été stoppée par les cerfs et les chevreuils qui mangeaient les jeunes pousses.

S.C.

Le produit retardant des bombardiers, ennemi du raisin
Jean-François Laville, élu à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. ©FDSEA07
VITICULTURE

Le produit retardant des bombardiers, ennemi du raisin

Indispensable pour freiner l’avancée des flammes d’un incendie, le produit retardant utilisé par les bombardiers d’eau rend la vinification du raisin impossible. Le point avec Jean-François Laville, élu à la chambre d’agriculture d’Ardèche et viticulteur à Saint-Pons (cave d’Alba-la-Romaine).

En cas d’incendies, la vigne constitue-t-elle un coupe-feu efficace ?

Jean-François Laville : « Une vigne est naturellement un coupe-feu, puisque les sols et la végétation sont régulés par le binage. La propagation d’un incendie dans une vigne est donc rare. Nous essayons de mettre en avant cette qualité, qui est également un plus pour l’arrivée des secours. À Cerbère, dans les Pyrénées-Orientales, les vignes en terrasses ont, par exemple, permis de ralentir la progression du feu. »

Lorsque les bombardiers d’eau épandent du produit retardant en bordure de vignes, quel est l’impact sur le raisin ?

J.-F. L. : « Ce produit, dit retardant1, est largué par les bombardiers afin d’éteindre les incendies. Mais ce produit rend les raisins impropres à la vinification. Nous avons donc déjà eu quelques problèmes avec ces épandages en bordure de vignobles à quelques jours de la récolte. Cela ne s’est pas produit l’été dernier, puisque les incendies se sont concentrés sur le plateau de Jastres, entre Lussas et Vogüé (Ardèche), qui était rempli de broussailles. Mais nous avons déjà eu ce cas de figure en 2017, où des parcelles entières étaient concernées. Les secteurs touchés sont généralement dans le sud du département, en bordure des Cévennes et situés à proximité des pins maritimes. »

Les viticulteurs touchés par cet épandage peuvent-ils être indemnisés ?

J.-F. L. : « Pour l’instant, un vide juridique persiste. Il faut bien sûr prévenir les incendies, et la vigne fait partie des moyens pour ralentir le feu. Mais l’épandage de ce produit retardant n’est pas considéré comme un risque assurable et la responsabilité du SDIS et du Département ne peut être engagée. C’est rare, mais certains viticulteurs ont déjà vendangé leur récolte, puis l’ont jetée, sans avoir accès à une indemnisation. Pour l’instant, la solution qui a été trouvée est celle de la collectivisation des moyens en coopérative. Certaines compagnies et banques proposent également une aide du fonds assurantiel, mais cela n’équivaut à rien de pérenne. »

Cette situation fait-elle l’objet de discussions avec les organismes d’assurance ?

J.-F. L. : « C’est un sujet de discussion. Mais en ce moment, la priorité est celle de l’assurance récolte. Nous ne pouvons donc pas faire passer ce désordre dans le cas des onze risques climatiques assurés. Finalement, le risque existe, mais il est minime au regard de la proximité des vignobles et des forêts. Néanmoins, si cela arrive sur une petite parcelle avec une sélection parcellaire à forte valeur ajoutée, l’impact sur le chiffre d’affaires de l’entreprise est immédiat. Si nous mettions tout le monde autour de la table, ce problème serait facilement résolu. »
L’été dernier, le plateau de Jastres, situé dans le Sud de l’Ardèche, a été touché par un important incendie.

Ces terres vont-elles être reboisées ?

J.-F. L. : « Sur ce plateau, près de 1200 ha ont brûlé en quelques heures. Heureusement, le feu a été circonscrit et il n’y a pas eu de dégâts humains et matériels. Nous allons nous mettre autour de la table pour évoquer la meilleure façon de reconquérir ces terrains qui étaient principalement composés de broussailles. Tout reboiser ne va pas être si simple, puisque les propriétaires de ces terrains sont multiples. Mais de l’herbe pousse. Ce serait donc intéressant de créer un groupe de pastoralisme. Nous avons des troupeaux et des bergers disponibles et volontaires. Le plus compliqué, c’est de joindre tous les propriétaires pour leur expliquer ce projet. »

Propos recueillis par Léa Rochon

1. Le retardant est un mélange de sel ignifugeant – du phosphate d’ammonium – et d’un épaississant, le plus souvent de la gomme ou de l’argile.

PRÉVENTION / Les bons gestes à adopter
©SDIS 42

PRÉVENTION / Les bons gestes à adopter

Prévenir les départs de feux nécessite la vigilance de tous. « Il faut organiser les barbecues loin de la végétation qui peut s’enflammer, jeter ses mégots dans un cendrier et non au sol ou par la fenêtre de la voiture, réaliser ses travaux loin de la végétation et prévoir un extincteur à portée de mains », explique le ministère de l’Écologie.

L’importance du débroussaillage

Autre réflexe à adopter, cette fois-ci, tout au long de l’année : le débroussaillage de son jardin. Un terrain débroussaillé permet au feu de passer sans provoquer de grands dommages et facilite le travail des sapeurs-pompiers. Le code forestier institue l’obligation de débroussailler sur 50 mètres tous les abords de constructions lorsqu’elles se trouvent dans, ou à moins de 200 mètres d’une forêt ou d’un espace naturel. Enfin, une maison construite en dur constitue le meilleur refuge lors d’un incendie de forêt, à condition qu’elle respecte une série de consignes et de règles de construction et de sécurité. Lorsqu’elles sont débroussaillées et équipées de pistes d’accès et de points d’eau, les zones agricoles cultivées ou pâturées permettent de réduire fortement le développement du feu et améliorent la sécurité lors de la lutte contre l’incendie. Mais la préfecture
d’Auvergne-Rhône-Alpes tient à le rappeler : pour être efficace, la réalisation de ces équipements doit être planifiée dans le Plan départemental ou interdépartemental de protection des forêts contre les incendies (PPFCI), en concertation entre les services forestiers et les services de lutte.

Les agriculteurs concernés

L’intervention du monde agricole dans la lutte contre les incendies n’est pas à prendre à la légère. Le 17 mai dernier, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi du Sénat relative au renforcement de la prévention contre les incendies. Le texte donne la possibilité aux préfets d’interdire la réalisation de travaux agricoles (moisson et pressage), sur des plages horaires déterminées en cas de risque d’incendie sévère. Dans ce cas figure, les agriculteurs percevront une indemnisation à hauteur des coûts nets induits. Mais la mesure phare de cette proposition de loi concerne la réquisition des agriculteurs et de leur matériel. Un amendement a officialisé le recensement des agriculteurs volontaires dans la lutte contre les incendies, ainsi que les moyens qu’ils peuvent mettre à disposition tels que les citernes à eau. Cette action de réquisition doit s’accompagner d’une indemnisation en cas de pertes et de dommages sur les matériels. Une façon de cadrer et de reconnaître les interventions des agriculteurs dans la prévention contre les incendies.

Léa Rochon