Autrefois rares en France, les orages super cellulaires deviennent une préoccupation importante, notamment dans le monde agricole. Ils sont, selon Romain Weber, météorologue à Lyon Météo, la forme orageuse la plus violente. Toutefois, les agriculteurs font preuve de résilience, puisque le recours au système assurantiel et aux protections physiques des cultures sont en constante augmentation. Ils trouvent également des débouchés leurs productions grêlées et invendables en l’état. Décryptage.

L’orage super cellulaire, nouvelle réalité climatique
Orage super cellulaire capturé le 30 juin 2022, dans le sud du département du Rhône. ©Romain Weber

Autrefois rares en France, les orages super cellulaires deviennent une préoccupation importante, notamment dans le monde agricole. Ils sont, selon Romain Weber, météorologue à Lyon Météo, la forme orageuse la plus violente. Toutefois, les agriculteurs font preuve de résilience, puisque le recours au système assurantiel et aux protections physiques des cultures sont en constante augmentation. Ils trouvent également des débouchés leurs productions grêlées et invendables en l’état. Décryptage.

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Romain Weber, météorologue à Lyon Météo. ©Romain Weber

« Les orages super cellulaires représentent la forme orageuse la plus violente », affirme Romain Weber, météorologue à Lyon Météo qui soutient les acteurs du monde agricole à travers ses prévisions et en participant notamment au dispositif de lutte collective Paragrêle 69. « Ils ont la capacité de produire des phénomènes très intenses, tels que de violentes chutes de grêle, de violentes rafales de vent et de fortes pluies. C’est un des seuls orages capables de produire des tornades, contrairement aux orages classiques : il a la particularité d’être en rotation. » Depuis plusieurs années maintenant, les météorologues se penchent sur ces phénomènes, afin d’acquérir assez de recul.Des connaissances indispensables aux agriculteurs, dont la production pâtit régulièrement de ces évènements climatiques. Les orages super cellulaires ont, en effet, des particularités qui leur sont propres et naissent dans des conditions spécifiques. Tout d’abord, « ils peuvent durer plusieurs heures, contrairement à un orage classique, dont la durée de vie se trouve entre trente et soixante minutes et parcourir plusieurs centaines de kilomètres », explique Romain Weber.

Une histoire de vents

Pour la création de ce type d’orages, plusieurs conditions doivent, par ailleurs, être réunies. « Une super cellule se crée dans un contexte de forte instabilité de la masse d’air, en général un fort contraste thermique ou un cisaillement important, qu’il soit directionnel ou de vitesse. » C’est une condition sine qua non, d’après l’expert : entre le vent au sol et le vent en altitude, il faut une différence de vitesse. La supercellule se forme donc avec un rapport d’air chaud et humide au sol, ainsi qu’une arrivée d’air frais. Ce grand contraste va créer une forte instabilité de la masse d’air et un cisaillement des vents. Par ailleurs, plus la masse d’air est chaude, plus elle contient de l’humidité : les orages deviennent alors davantage pluvieux entraînant souvent des inondations. Autre conséquence néfaste de ce type d’orage : l’augmentation de la taille des grêlons. « Nous avons prouvé, de manière scientifique, que la taille de grêlons avait drastiquement augmenté. La grêle se forme au coeur de courants très forts. Lorsque le grêlon est trop gros, il tombe au sol et atteint de plus en plus des tailles importantes, en raison de la puissance des orages super cellulaires », explique Romain Weber.

Itinéraire inconnu

Pour faire face, les agriculteurs s’organisent pour sauver leurs productions, mais il est souvent difficile d’agir, en raison du caractère tout particulier des orages super cellulaires. « Les orages vivent et sont très difficiles à suivre. Il est possible d’estimer l’intensité de l’orage et ce qu’il va potentiellement produire vingt-quatre à quarante-huit heures à l’avance. Mais on ne peut pas savoir où l’orage va passer, on le saura seulement une heure avant, au maximum », assure le météorologue. C’est donc la grande différence entre un orage classique et une super cellule : la super cellule a davantage de mal à se former et crée différents flux. Ses trajectoires sont donc complexes à appréhender.

Orages super cellulaires et réchauffement climatique

Une chose est certaine : ce phénomène se répète de plus en plus comme l’ont prouvé les épisodes qui se sont abattus cet été. Toutefois, « ils ne sont pas nouveaux en France », souligne le météorologue. Les facteurs entraînant cette augmentation ne sont encore que des hypothèses. En effet, les conditions climatiques étant en mutation, l’augmentation de la fréquence de ces tempêtes intenses soulève des questions sur le lien avec le réchauffement climatique. « Nous nous doutons qu’il a un lien avec cette augmentation, mais nous n’avons pas assez de recul pour le prouver. » L’expert soulève, toutefois, l’idée selon laquelle les fortes chaleurs alimenteraient les orages plus facilement en leur octroyant beaucoup d’énergie.

Charlotte Bayon

Arboriculteurs et viticulteurs en quête de la meilleure protection
Dans la Drôme, l’EARL La Pêcheraie (famille Betton), s’est équipé de filets paragrêle (type V5), afin de protéger la production d’abricots et de pêches. ©CL/AD26
TÉMOIGNAGES

Arboriculteurs et viticulteurs en quête de la meilleure protection

Depuis une dizaine d’années, les innovations afin de limiter l’impact de la grêle fleurissent. Bien que les filets restent le système le plus recommandé, leur utilisation n’est pas sans faille et peut nécessiter un renfort lors des travaux annuels à effectuer sur les vergers.

Le sujet devient de plus en plus récurrent. Cette année encore, la grêle a touché plusieurs vergers et causé des dégâts plus ou moins importants aux viticulteurs et arboriculteurs de l’est et du sud-est de la France. Cet aléa climatique, qui n’a d’aléa plus que le nom, pousse les professionnels à s’équiper. L’objectif n’est pas d’empêcher la grêle de tomber, mais bien de limiter son impact sur les productions.

André Quenard fait partie d’un réseau de viticulteurs savoyards qui utilise des ballons gonflés à l’hélium. Lorsqu’un orage approche, ce dernier envoie une charge de sel de calcium dans les airs. Le sel absorbe l’humidité et transforme les grêlons en gouttes de pluie. En altitude, ce système permet de couvrir un rayon d’un kilomètre de diamètre. Mais la manoeuvre la plus délicate reste de lâcher le ballon au bon moment, soit environ vingt minutes avant l’arrivée des grêlons. « Nous ne savons pas vraiment s’il s’agit d’une méthode de lutte encore adaptée, confie le viticulteur situé à Chignin. Depuis 2019, année où j’ai eu 4 ha massacrés par la grêle, les grêlons mesurent de 3 à 4 cm… Auparavant, ils n’étaient pas plus gros qu’une noisette ! »

Investir dans des filets paragrêle, le collectif y réfléchit forcément. « Dans nos vignobles, cela reviendrait à 12 000 € ou 14 000 € l’ha, c’est un investissement conséquent, même si des aides régionales existent. » Ce qui n’empêche pas le viticulteur d’affirmer qu’il s’agirait certainement de la meilleure protection physique pour sa production. Sa propre réflexion est d’ailleurs d’installer, dans les prochaines années, des filets sur les parcelles les plus rémunératrices et situées en coteaux. « Mais il ne faut pas oublier que les filets ne protègent pas les bâtiments, contrairement à la lutte aérienne », conclut-il.

À quelques kilomètres du domaine d’André Quenard, le ressenti est quelque peu différent. L’année dernière, David Henriquet a installé des filets paragrêle sur 2 000 m² de vignes situées en bordure de forêts. Dès le mois de juin, plusieurs averses de grêle sont tombées. Ces dernières n’étaient pas très denses, mais les grêlons dépassaient la taille d’une balle de golf. « L’effet rebond du filet ne s’est pas produit, les grêlons ont donc enfoncé le filet et sont venus taper le milieu de la grappe », relate le viticulteur. L’impact a fini par sécher et créer des nécroses. « Les grappes ne sont pas pleines, des raisins sont abîmés, c’est une perte de rendement et de qualité. Dans tous les cas, j’ai toujours eu en tête que les filets pouvaient limiter les dégâts, mais en aucun cas les supprimer totalement. Nous avons beaucoup perdu depuis que nous ne pouvons plus utiliser les fusées anti-grêle… Le système parfait n’existe pas encore. »

Les filets paragrêle, une logistique à anticiper

Au sud du territoire, les arboriculteurs cherchent également la solution la plus efficace. Dans la Drôme, cela fait sept ans que la famille Betton (Earl La Pêcheraie) a opté pour des filets paragrêle. Sur leur 25 ha de production, une dizaine est actuellement protégée. Selon Julien Betton, le résultat est sans équivoque : « Nous avons pris une averse de grêle il y a trois semaines, tout ce qui était sous les filets n’a pas été touché, tandis que le reste a été anéanti ». Depuis l’installation de ces filets, la famille remarque que leurs pêches et abricots possèdent moins de marques, ce qui limite le déclassement. Un gain qualitatif également remarqué par Bruno Darnaud, le président drômois de l’AOP pêches et abricots de France. « Avec les filets, nous avons beaucoup moins de catégories 2 pour les fruits à noyaux comme les pêches et les abricots, puisque les branches tapent moins les unes contre les autres. » Mais cette installation a un coût logistique. Durant chaque hiver et chaque printemps, les arboriculteurs sont obligés d’enrouler et de dérouler les filets. « Nous prenons une semaine pour le faire avec du personnel : cinq sont sur une nacelle et trois sont sur un tracteur pour fermer ou ouvrir les filets. » Un coût économique et logistique supplémentaire qu’il est essentiel d’anticiper, en arboriculture comme en viticulture.

Léa Rochon

L’assurance récolte semble gagner du terrain
Selon les premières estimations, plus de 40 % des surfaces viticoles françaises seraient assurées aujourd’hui. ©AD
ÉCONOMIE

L’assurance récolte semble gagner du terrain

La réforme de assurance récolte a fait son entrée en début d’année. Cette dernière vise à mieux couvrir les agriculteurs contre les caprices de la météo. Selon les premiers chiffres des assureurs, toutes les filières sont concernées par une hausse des contractualisations.

Si la protection physique des productions est une piste face aux aléas climatiques, l’assurance est également l’un des atouts dans la manche des agriculteurs pour sauver leurs productions. Alors, face à la multiplication des aléas météorologiques (sécheresses répétées, gels tardifs, grêle…), une réforme du dispositif de l’assurance récolte est entrée en vigueur en janvier dernier. Le nouveau dispositif repose dorénavant sur la solidarité nationale et le partage du risque entre l’État, les agriculteurs et les assureurs, le fameux dispositif à trois étages.

Un choc assuranciel

Avec cette réforme, l’État souhaite inciter les agriculteurs à s’assurer davantage, en renforçant notamment le taux de subvention des primes et cotisations d’assurance (70 % en 2023 contre 62 % en 2022) et en élargissant le périmètre des garanties subventionnables. Surtout, en cas de sinistre, les conditions d’indemnisation seront plus favorables pour les agriculteurs ayant souscrit un contrat d’assurance récolte, annonçait le ministre de l’Agriculture sur son site Internet. « Afin de protéger davantage les exploitants agricoles affectés par les évènements climatiques, l’objectif de la réforme est de créer un réel choc dans la diffusion de l’assurance récolte », note le ministère de l’Agriculture. Plusieurs mois après l’entrée en vigueur de la réforme, le choc a-t-il eu lieu ?

Des surfaces en hausse

Les agriculteurs semblent, en effet, être plus nombreux à avoir souscrit à une assurance. Début juillet, le numéro 2 de l’assurance récolte, Pacifica (groupe Crédit Agricole) annonçait à Agra Presse « une augmentation des surfaces assurées de quasiment 70 % ». Le directeur du marché de l’agriculture de Pacifica, Jean-Michel Geeraert soulignait un « très net intérêt des agriculteurs », toutes filières confondues, pour le nouveau dispositif assurantiel. En grandes cultures, les surfaces assurées par Pacifica ont augmenté « de plus de 35 % » passant « d’environ 750 000 ha en 2022 à pas loin d’un million cinquante mille ha en 2023 ». En viticulture, elles « progressent de 60 % à peu près » pour atteindre « 110 000 ha ». En prairies, les surfaces assurées ont augmenté de 600 %, passant « de 50 000 à 350 000 ha ». Tandis qu’en arboriculture elles augmentent de 460 %, passant « de 2 500 à 14 000 ha ». De son côté, Groupama (numéro 1) atteignait, à lui seul, 700 000 ha de prairies, soit 5 % des surfaces françaises. Toutes filières confondues, l’assureur atteint 9 000 contrats et près d’un million d’hectares supplémentaires. Groupama affirme que cette « croissance s’explique notamment par le transfert des contrats grêle de 40 % de nos sociétaires qui ont fait le choix d’élargir leur couverture ». Il annonce assurer contre la grêle 3 800 000 ha de surfaces toutes filières confondues (hors prairies). En grandes cultures, l’assureur note un « développement important », avec une hausse de 11 % des surfaces assurées. En viticulture, le groupe enregistre une hausse de 5 %, « mais avec de fortes disparités régionales ». En arboriculture, il constate « une croissance nette, mais le taux de couverture reste encore trop faible au regard des enjeux climatiques ». Au niveau du marché global, Jean-Michel Geeraert estimait, qu’au moment de la déclaration, 33 % des surfaces nationales en grandes cultures, plus de 40 % des surfaces viticoles, 10 à 12 % des surfaces arboricoles et 10 % des prairies étaient assurées. Une « première estimation » qui doit être confirmée par un bilan consolidé du ministère de l’Agriculture.

M.-C. S.-B. avec Agra

TRANSFORMATION / Valoriser ses fruits et légumes grêlés ou abîmés

L’idée leur est venue en 2011, un an seulement après leur installation. Yann et Virginie Houlette sont arboriculteurs à Loriol, dans la Drôme. Cette année-là, le couple a connu un épisode de grêle qui a fragilisé et déclassé leur production de pommes. La rencontre avec un maraîcher qui possédait un atelier de transformation leur a alors permis de sauver ces fruits grêlés… Et de diversifier, par la même occasion, leur activité. Après trois années à louer cet atelier, les deux producteurs ont décidé d’investir près de 300 000 € dans leur propre matériel.

Faire appel à des transformateurs

Un pari sur l’avenir réussi, puisque le Gaec T’Air de Famille transforme dorénavant la moitié de leurs fruits en compotes et jus et travaille pour une dizaine de maraîchers et une vingtaine d’arboriculteurs du secteur. Le chiffre d’affaires de l’entreprise est équitablement réparti entre la vente des beaux fruits, la prestation de l’atelier de transformation et la vente de leurs compotes et de leurs jus en magasins de producteurs et spécialisés. « En ce moment, les producteurs nous appellent, car leurs potimarrons ou leurs butternuts ont pris des coups de soleil, ils veulent donc les transformer en soupes », déclare le professionnel. Les averses de grêle de ce début d’été ont également amené plusieurs lots de pommes et de pêches abîmés. « Mais il faut que la grêle arrive tôt dans la saison, détaille l’arboriculteur. Des producteurs ont eu un nuage de grêle en juillet et le fruit pourrissait tout de suite. Les fruits à noyaux sont difficiles à transformer, excepté si la grêle frappe tôt dans la saison, comme au mois de mai et que les fruits ont le temps de cicatriser. À l’inverse, les pommes se conservent assez bien malgré la grêle, nous pouvons en faire des compotes et des jus. »

Se tourner vers les associations

Être très réactif, c’est également le rôle que s’est donnée Solaal Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis sa création en 2021, l’association a créé un réseau d’acteurs à l’échelle régionale, afin de récupérer les produits frais voués à être jetés ou perdus. Les dons des entreprises agricoles et agro-alimentaires bénéficient ensuite aux associations d’aide alimentaire. Cette année, la grêle a concerné 4 dons sur 105.

« Il s’agit de dons spéciaux, où nous devons être très réactifs, explique la coordinatrice de l’association, Lola Schweitzer. Nous demandons dans un premier temps des photos aux producteurs, car nous ne pouvons pas proposer un produit pourri. Si les produits grêlés ont déjà été ramassés, nous sommes en contact avec des associations qui peuvent directement s’occuper du tri. » Il y a un an, des courges produites dans la Loire et touchées par un épisode de grêle ont été valorisées par ce biais-là. Cet été, ce procédé a surtout permis de récupérer des pêches, nectarines et potimarrons grêlés, majoritairement transformés en compotes et en soupes.

Léa Rochon